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CHANT FUNÈBRE

Montaient à la rencontre auguste du destin,
Quitteront à jamais la douceur du matin,
Et s’étendront aussi dans la paisible arène
Où le cèdre odorant, le cyprès noir, le frène,
Les tilleuls dont l’ombrage est percé de rayons,
De nos midis d’été robustes compagnons,
N’avancent qu’en tremblant leur racine rampante…
Hélas, être couché dans la mort, sur la pente
Qui chaque jour descend plus au fond de l’oubli,
Dans cette ombre où le front des dieux même est pâli…

Qu’importe ! c’est le jour, voyez, l’herbe est divine,
Le soleil de Juillet brûle au ciel et s’incline,
Visage qui se penche et regarde en riant,
Le monde est enivré, c’est partout l’Orient !
Les bosquets amoureux mêlent leurs feuilles lisses,
Tout s’ébat et tout vit, ô puissantes délices !
Les êtres, sans penser qu’un tel jour finira,
S’élancent en pressant le bonheur dans leurs bras…
— Mais pendant que l’azur est comme un lac immense,
Pendant que tout s’éveille et que tout recommence,
Que je sens ruisseler sur mon cœur âpre et pur
Vos chants mystérieux, Cantates de l’azur !
Pendant qu’ivre d’espoir, de hâte, de jeunesse,
On veut qu’un plaisir passe et qu’un autre renaisse,
Pendant que l’air divin est si clair, est si beau,
Hélas ! ô jour sacré, nous courons au tombeau ;
Nous quittons vos rumeurs, votre vent salutaire,
Douce surface de la terre !