Page:Pêcheurs de Terre-Neuve, récit d'un ancien pêcheur, 1896.djvu/30

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Depuis le départ, j’avais comme tout le monde piétiné avec mes bottes sur quelques vêtements de laine, les jours où le mauvais temps amenait la mer sur le pont : on ne connaît ou plutôt on ne pratique guère d’autre lavage à bord des Terre-Neuviers ; vous devinez le nettoyage qu’on peut obtenir par un tel procédé. Mais l’eau de mer ne prend pas le savon, et il n’y a guère que les navires à vapeur qui puissent vous fournir de l’eau douce avec assez d’abondance pour laver. Le navire à voiles, sauf quelques long-courriers munis d’une machine à distiller, n’en fabrique pas ; il n’a que celle dont il a fait provision au départ, et il l’économise avec soin. Nous étions donc descendus à terre, à l’embouchure d’un ruisseau qui tombait de la montagne par cascades et venait se perdre au milieu de quartiers de roche dont chacun de nous eut bientôt choisi le sien pour y frotter et savonner à son aise. Mais le froid rendait l’opération difficile. Il fallait laisser les vêtements mouillés en plein ruisseau, sous l’eau courante, ou sinon les changer de place à toute minute parce que la gelée les faisait prendre très vite aux pierres. Plus d’un morceau ne put être arraché qu’en coupant la glace avec un couteau. Aussi j’ose à peine vous dire ce qui fut bu d’eau-de-vie, sous prétexte de se réchauffer. Il faut croire qu’il ne s’agissait pas d’alcool de haut degré : il en fut consommé une moyenne de trois quarts de litre à l’homme dans l’espace d’une matinée. Le cabaret était là à côté, et ce fut moi qui allai chercher les bouteilles. Inutile d’ajouter que ces liba-