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LE ROMAN DES QUATRE

et ce qu’il manigance. Allons, à demain ! finit-il en poussant son compagnon vers l’auto.

Il salua galamment de son feutre la jeune fille et la dame souriantes et monta dans la voiture. Et tandis que Jeannette et sa tante pénétraient dans la maison, Durand disait au chauffeur :

— Si vous voulez nous ramener à notre hôtel, sur la rue Peel…

Le chauffeur brûla le pavé lorsque Elzébert eut ajouté :

— Et dépêchons-nous !

Cinq minutes après, l’auto tournait sur Dorchester et reprenait sa course vers la rue Peel.

Paul Durand rompit le silence qui s’était établi entre son compagnon et lui depuis quelques minutes.

— Elzébert, j’ai idée que nous ferions mieux de prendre un déguisement quelconque avant de nous jeter sur la piste de cet inconnu, et mieux encore avant d’aller sur la rue Cadieux pour savoir quels sont ces gens qui habitent là et qui ont enlevé mademoiselle Jeannette. Que penses-tu ?

— Je pense comme toi, mon vieux. Tout de même, nous voici embarqués, si je ne me trompe pas, dans une fière calèche. Où allons-nous aboutir ?

— Ce qui importe en premier lieu, répliqua Durand, c’est de dénicher l’assassin de Lafond. Aussi, pensé-je que la clef du mystère se trouve sur la rue Cadieux.

— Tu penses ?

— Mais si, par aventure, elle n’est pas là, elle gît certainement dans le coco de cet individu qui nous talonne avec une évidence indiscutable.

Elzébert hocha la tête et soupira. Pour lui un « si » et un autre faisaient deux « si », et ce ne sont pas les « si » qui résolvent les problèmes ténébreux. Et le silence se fit encore entre les deux compères, jusqu’au moment où leur voiture vint s’arrêter devant l’hôtellerie de la rue Peel.

— Une chose, dit Paul avant de descendre de l’auto, c’est que j’ai une soif rare… On va prendre le temps de s’étancher un peu, puis nous jonglerons à notre affaire. Ensuite Elzébert, je me demande s’il ne vaudrait pas mieux attendre à la nuit venue pour essayer de tâter les gens de la rue Cadieux.

— Tu as peut-être raison, fit seulement Elzébert dont la pensée semblait lointaine… pensée peut-être demeurée avec la belle image de la rue Saint-Denis.

— Et puis, reprit Paul, il ne faut pas oublier que c’est ce soir que nous avons reçu ordre de décamper de la ville ; tout nous commande donc de nous déguiser. La moindre imprudence peut nous attirer une balle au cœur ! Allons, viens ! Nous allons nous rincer le gorgoton, puis parler de l’affaire.

Paul paya largement le chauffeur et, suivi d’Elzébert, pénétra dans l’hôtel.

Les deux amis s’approchèrent du bureau de l’administration, et Paul demanda à un employé-comptable :

— Mon ami, voulez-vous me dire si l’on est venu s’informer de nous durant notre absence ?

L’employé sourit et répondit :

— Deux gentlemen sont venus pour Monsieur Paul Durand.

— Ah ! ah !… Vont-ils revenir ?

— Non, sourit le commis davantage, pour la bonne raison qu’ils ont décidé de vous attendre.

Paul et son ami promenèrent un regard inquisiteur sur les quelques hôtes paisibles réunis dans la salle commune, comme avec l’espoir d’y découvrir les deux gentlemen en question. Mais de suite l’employé ajoutait :

— Pardon, messieurs ! Mais sur la demande de ces gentlemen, je leur ai permis d’aller vous attendre dans vos appartements, car ils m’ont paru de vos amis ou, tout au moins, de vos connaissances.

— C’est bien, fit Paul un peu surpris.

Et, tirant Elzébert après lui, il gagna l’ascenseur.

L’instant d’après, les deux amis pénétraient dans un petit salon qui faisait partie de leur appartement, et, là, ils apercevaient les deux gentlemen. Mais c’étaient deux inconnus… tout à fait inconnus ! Ils étaient là, graves et dignes tous deux, confortablement assis.

— Entrez, mes amis, entrez ! fit l’un des deux personnages en ébauchant un sourire quelque peu ironique.

Mais Durand et Mouton demeuraient béants, les regards interrogateurs. Ne s’étaient-ils pas trompés de porte ?

Pourtant… ils reconnaissaient leurs bagages, là, à deux pas de la porte.

Les deux inconnus venaient de se lever. L’un d’eux s’approcha de Paul et s’enquit, avec une parfaite urbanité :

— Est-ce à Monsieur Paul Durand que j’ai le plaisir de parler ?

— Oui, monsieur… je suis bien celui que vous nommez… bredouilla Paul très stupéfait.