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SUR LES COMMANDEMENS DE DIEU.


ciblement la nécessité qu’ils avoient de le faire, il faut ajouter qu’il y avoit en effet des hérétiques, dont ces erreurs étoient les capitales, ce qui achève l’obligation qu’ils avoient de condamner ces opinions. C’est le sujet du troisième point.


PREUVES DU TROISIÈME POINT. — Que les Pères qui ont établi que les commandemens ne sont pas impossibles, étoient obligés à le déclarer en ce sens, qu’il n’est pas impossible que l’on garde les commandemens ; à cause des manichéens qu’ils avoient à combattre, qui soutenoient une impossibilité absolue, et une nécessité inévitable qui forçoit les hommes à pécher.


On ne peut contester que les saints Pères qui ont établi que les commandemens ne sont pas impossibles aux hommes, n’aient été obligés à le faire en ce sens, qu’il n’est pas impossible qu’on les observe, au cas qu’il soit véritable qu’ils eussent des ennemis présens qui soutinssent le contraire, qui niassent le libre arbitre, qui soutinssent que les hommes sont dans l’impossibilité absolue de les observer, et qu’il y a une nécessité inévitable qui les force à pécher. Or qui ne sait que c’est un des chefs de l’erreur des manichéens, et que la méchante nature qu’ils soutenoient ne fût telle qu’il n’y eût aucune puissance capable de vaincre sa malice, non pas même celle de Dieu ? Ne sait-on pas que saint Augustin a réfuté ces erreurs, et qu’il en a remporté une victoire si glorieuse à l’Église ? Je ne m’arrêterai donc pas à le prouver ici, puisqu’il ne faut que lire ce qu’il en a écrit contre eux, et je me contenterai d’en rapporter quelques passages pour ne pas laisser la chose sans preuve, quelque connue qu’elle soit d'elle-même.

Manichée soutient que la nature, qu’il dit être mauvaise, « ne peut, en aucune manière, être guérie et rendue bonne. » Et il est misérablement extravagant, en ce qu’il veut que la nature du mal soit absolument incapable d’être changée. C’est ce qui fait dire à Pélage : « Nous reconnoissons le libre arbitre ; et que ceux-là errent, qui tiennent avec Manichée que l’homme n’a point le pouvoir de ne point pécher. » C’est ce qui fait que Julien appelle sans cesse saint Augustin et les catholiques du nom de manichéeus, comme il paroît dans les passages rapportés dans l’autre point. Et c’est pourquoi saint Jérôme, ayant dit que les commandemens sont impossibles sans la grâce, prévient l’objection ordinaire de ces hérétiques par ces paroles : « Vous vous écrierez incontinent, et vous nous accuserez de suivre le dogme des manichéens. »

Il est donc hors de doute que tout ce que les luthériens ont dit de la concupiscence étoit dit mille ans avant leur naissance, par ces anciens hérétiques, de cette mauvaise nature. On ne peut donc plus contester que les Pères n’aient été forcés à ruiner ces horribles et impies sentimens, « que le libre arbitre est anéanti ; que les préceptes sont invinciblement impossibles ; que les hommes sont contraints nécessairement et inévitablement à pécher ; » puisqu'ils y étoient obligés, autant pour convaincre d’erreur ceux qui les soutenoient, que pour confondre la calomnie de ceux qui les leur imputoient ;