Page:Pater - Vézelay, trad. Vignes, 1924.djvu/9

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sculpture, riche et fantastique, mais attristante, indécente parfois, en honneur, plus largement que partout ailleurs, dans les églises de Bourgogne et spécialement dans celles de l’ordre clunissien. « Quelle est l’utilité, disait-il, en peinture et sculpture de ces monstres grotesques ? »[1], faisant sans doute allusion à ces merveilleuses sculptures de Vézelay, où il vint souvent – tout particulièrement le vendredi saint de 1146 – pour y prêcher, comme l’on sait, la seconde Croisade, en la présence de Louis XII Et il pouvait y pleurer à la vue de cette foule condamnée (on dit qu’un sur dix seulement revint de la terre sainte), dont l’enthousiasme, sous le charme de son éloquence fougueuse, s’éleva à la hauteur de son thème. Les nefs de Vézelay ne furent pas suffisantes à contenir la multitude de ses auditeurs : il prêcha en plein air du haut d’un roc qui saille au flanc de la colline. Des armées, en effet, ont plusieurs fois campé sur les coteaux et dans les prairies de la vallée de la Cure, qui semblent maintenant intangiblement paisibles. L’ordre clunissien déjà même avait dévié de ses données originales, et ce déclin s’accentua aussi dans l’abbaye de Vézelay peu après le temps de saint Bernard. Sa majestueuse, immuable église était achevée au milieu du xiie siècle. Et elle reste debout en dépit de bien des secousses, tandis que les bâtiments conventuels qui l’environnaient ont disparu et l’institution qu’ils abritaient — sécularisée à sa propre demande lors de la Réformation – était tombée à presque rien lorsque, dans le siècle dernier, le dernier des abbés construisit, en place de l’ancien logis gothique, sous ces murailles solennelles, une forme de Château Gaillard, svelte construction Louis XV – balayée elle aussi par la tourmente révolutionnaire – sur l’emplacement de laquelle poussent maintenant de grands chênes, habitats de corbeaux et d’écureuils.

Toutefois, en son temps, en cette sombre période du xie au xiie siècle, l’ordre de Cluny a bien servi ceux

  1. « Telle est la variété de ces formes fantastiques qu’on a plus de plaisir de lire sur le marbre que dans son livre, et qu’on aime mieux passer le temps à les admirer tour à tour qu’a méditer la loi de Dieu. » (Saint Bernard). N. du t.