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nature propre. Or, ces actions sont possibles en toute circonstance[1]. Un cylindre ne peut pas toujours se mouvoir de son mouvement propre, pas plus que l’eau, le feu et les autres corps gouvernés par une nature ou une âme dépourvue de raison[2] ; ils trouvent beaucoup d’obstacles et d’entraves. Mais l’esprit et la raison peuvent poursuivre leur marche à travers toutes les difficultés, suivant leur nature et leur volonté. Persuadé de cette facilité avec laquelle ta raison peut se porter partout, comme le feu s’élève dans l’air, comme la pierre tombe, comme le cylindre roule sur une pente, ne demande rien de plus. Les autres obstacles[3] ou bien ne sont que pour le corps, ce cadavre[4] ; ou bien, si notre jugement et notre raison ne se relâchent point[5], ils ne blessent pas, ils ne font aucun mal : si l’on en souffrait, on serait par là même avili. Tout [malencontreux] accident qui arrive à un autre être ou à un autre objet quelconque[6] enlève de sa valeur à ce qui le subit ; l’homme, au contraire, s’il est permis de le dire, vaut davantage et mérite plus de louanges quand il sait tirer parti de toutes les difficultés. En un mot, souviens-toi que rien de ce qui ne nuit pas à la cité universelle ne nuit au citoyen, et que ce qui ne nuit pas à la loi ne nuit pas à la cité ; or, aucun de ces incidents que l’on impute à la mauvaise chance ne nuit à la loi. Ne nuisant pas à la loi, il ne nuit donc ni à la cité ni au citoyen.

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À celui sur qui ont pu mordre[7] les dogmes vrais, la moindre chose et la plus ordinaire suffit pour rappeler qu’il ne doit éprouver ni chagrin ni crainte. Par exemple ces vers : « Parmi

  1. [Toute la liberté est dans ces mots. Cf. infra XI, 20, et la note finale.]
  2. [Sur la hiérarchie des êtres, cf. supra VI, 14 ; X, 2, et les notes.]
  3. [Marc-Aurèle dit « les autres obstacles » par opposition à ceux qui viennent de la raison elle-même, d’un « relâchement du jugement », et qui sont les seuls dont elle puisse pâtir.]
  4. [Cf. le mot d’Épictète, supra IV, 41.]
  5. [Le jugement se relâche en donnant de l’importance aux choses indifférentes. Tout bien et tout mal sont en lui. — Supra IV, 7, et vingt autres passages.]
  6. [Littéralement : « à une autre organisation » ou « constitution quelconque ».]
  7. [Couat : « à celui qui s’est bien pénétré de… »] — Je crois qu’on peut garder le texte des manuscrits, si étrange que paraisse l’expression τῷ δεδηγμένῳ. Elle peut, en tout cas, se traduire littéralement en français.]