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CHAPITRE XXXVI.

chait vers les doctrines d’Épicure, toutes neuves alors, et que n’avaient point encore corrompues ceux qui s’enorgueillirent du nom de pourceaux, ou plutôt dont on n’entrevoyait pas, à travers les vertus du maître, les funestes et immorales conséquences. Au reste, Ménandre ne disserte guère; mais il se plaît, comme les épicuriens, à insister sur le côté misérable de la condition humaine, afin de faire mieux sentir le prix de la sagesse, de la modération, de l’apaisement des troubles intérieurs, de la sérénité de l’âme. Il y a, dans ses fragments, des choses admirablement belles, et de cette beauté sérieuse qui s’associait si bien, dans le Comédie nouvelle, avec une aimable gaieté. Voici un de ces passages, qui nous a été conservé par Plutarque, dans la Consolation à Apollonius : « Si tu es né, Trophime, seul entre tous les hommes, quand ta mère t’a enfanté, doué du privilége de ne faire que ce qui te convient et d’être toujours heureux, et si quelque dieu t’a promis cette faveur, tu as raison de t’indigner; car ce dieu t’a menti et s’est mal conduit envers toi. Mais si c’est aux mêmes conditions que nous que tu respires l’air commun à tous les êtres, pour te parler en style plus tragique, il faut supporter mieux ces malheurs et te faire une raison. Pour tout dire en un mot, tu es homme, et, partant, sujet plus qu’aucun être au monde à passer en un clin d’œil de l’abaissement à la grandeur, puis ensuite de la grandeur à l’abaissement. Et c’est vraiment justice. Car l’homme, qui est si chétif de sa nature, tente d’immenses entreprises ; et, quand il tombe, presque tous ses biens périssent dans sa chute. Pour toi, Trophime, tu n’as pas perdu une opulente fortune; tes maux présents n’ont rien d’excessif : ainsi donc résigne-toi, pour l’avenir, à cet état de médiocrité. »

Voici un autre morceau, cité par Stobée, où la leçon morale est présentée sons une forme plus vive et plus agréable encore : « Tous les autres êtres sont beaucoup plus heureux et beaucoup plus raisonnables que l’homme. Et d’abord, considérez, par exemple, cet âne-ci. Son sort est incontestablement misérable. Pourtant aucun mal ne lui arrive par son propre fait : il n’a que les maux que lui a donnés la nature. Nous, au contraire, outre les maux inévitables, nous nous en