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qui partaient pour Constantinople, qu’étaient-ils sinon des gens sans avoir et cherchant fortune ?

Cherchant fortune, c’est l’expression. Combien ne l’ont pas trouvée et ont disparu dans les combats ou ont été rongés par la misère. Mais d’autres ont réussi. Avec rien, c’est-à-dire avec rien d’autre que leur courage, leur intelligence, leur hardiesse, ils ont fait fortune…

Cela semble facile aujourd’hui. Un homme intelligent sans autre avoir que son esprit, trouve des capitaux. Mais réfléchissons bien que ceux-ci n’ont pas de capitaux à espérer. Il faut qu’ils les créent de rien. C’est l’époque héroïque des origines et il vaut de s’arrêter à ces pauvres diables qui sont les créateurs de la fortune mobilière.

Un cas est très simple et a dû se présenter souvent. On a réussi dans une expédition de course, pillé un port musulman, capturé un bon bateau bien chargé. On revient et, tout de suite, on peut embaucher de pauvres hères pour son compte et recommencer, ou acheter quelque part du blé à bon marché et le porter là où règne la famine, pour le revendre très cher. Car là est une des causes de la formation de ces premières richesses marchandes. Tout est local. A quelques lieux de distance, on trouve le contraste de l’abondance et de la pauvreté et, comme conséquence, les fluctuations de prix les plus étonnantes. Avec très peu, on peut gagner beaucoup.

Un batelier du Rhin, de l’Escaut ou du Rhône, avec de l’intelligence, a pu faire de bons bénéfices en temps de famine. Plus d’un qui a commencé comme petit colporteur dans les marchés, vendeur de chandelles aux pèlerinages, a pu tout à coup arriver à posséder un bel argent liquide et à prendre la mer.

Et il ne faut pas oublier que l’improbité aura été très grande au début, comme la violence. L’honnêteté commerciale est une vertu qui n’arrive que très tard.

Ainsi, dans cette société agricole où les capitaux dorment, un groupe d’outlaws, de vagabonds, de miséreux, a fourni les premiers artisans de la fortune nouvelle, détachée du sol. Ayant gagné, ils veulent gagner plus. L’esprit du profit n’existe pas dans la société établie ; eux qui sont en dehors d’elle, il les anime. Ils vendent, ils achètent, non pour vivre, non qu’ils aient besoin de leurs achats pour leur existence, mais pour gagner. Ils ne produisent rien : ils transportent. Ils sont errants, ils sont des hôtes, des gosty où ils arrivent. Et ils sont aussi des tentateurs, apportant