Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/207

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

puissance lui permettait d’entreprendre sur la frontière de celui-ci des conquêtes que la situation géographique rendait tôt ou tard inévitable. Il s’emparait en 1171 d’une partie de l’Irlande, et en 1174 forçait le roi d’Écosse à lui prêter serment de fidélité. On peut dater de son règne les premiers débuts de l’expansion de l’Angleterre. Mais il faut y faire remonter aussi l’origine de ce conflit avec la France qui, depuis lors jusqu’au commencement du xixe siècle, se retrouvera, sous des formes et une ampleur diverses, à travers toute l’histoire de l’Europe. A vrai dire, déjà sous la dynastie normande, une hostilité plus ou moins ouverte n’avait cessé d’imprégner les rapports du roi de France avec son vassal normand devenu roi à son tour. Mais Philippe Ier et Louis VI se sachant faibles, étaient trop prudents pour risquer une guerre ouverte contre leurs voisins ; ils se bornèrent à les chicaner, et à leur témoigner en toute occasion une irréductible malveillance. Louis VII sut prendre parti plus énergiquement. Le domaine continental de Henri II était trop menaçant pour que la royauté française ne consacrât pas désormais toutes ses forces à contenir un adversaire qui semblait destiné à l’écraser. La guerre qui ne tarda pas à éclater fut la première des guerres politiques européennes. Les rois n’avaient combattu jusqu’alors que pour faire des conquêtes. Ici, le point de départ du conflit fut la nécessité de maintenir les droits et la souveraineté de l’État contre les empiétements de l’étranger. La partie semblait inégale. Ni pour la puissance, ni pour l’intelligence et l’énergie, Louis VII n’était comparable à son adversaire. Heureusement, le gouvernement de Henri II lui suscita, en Angleterre même, des auxiliaires inattendus.

Avec le premier Plantagenêt, le pouvoir monarchique déjà si fort, tend nettement à l’absolutisme. Les formes féodales dont les rois normands avaient imprégné leur gouvernement disparaissent. Excellent administrateur, excellent nuancier, le nouveau prince fait de son royaume un modèle d’organisation. Mais ses réformes ont pour condition et pour résultat la toute puissance de la couronne. Il irrite la noblesse en la soumettant à un impôt destiné à solder des bandes de mercenaires brabançons. Il irrite l’Église en lui imposant les constitutions de Clarendon qui subordonnent la juridiction ecclésiastique au contrôle des agents royaux. L’archevêque de Canterbury, Thomas Becket, réfugié en France, ou Louis VII le couvre de sa protection, attise un mécontentement d’autant plus redoutable qu’il le justifie par des motifs religieux.