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malgré ses efforts et l’appui du pape, fut enfin obligé d’abandonner la Sicile insulaire aux Espagnols. Il y eut désormais deux royaumes de Sicile, l’un appartenant à la maison d’Aragon au delà du détroit de Messines, l’autre continuant à reconnaître la dynastie angevine qui se fixa à Naples[1].

Si l’intervention de Charles d’Anjou en Italie témoigne du prestige croissant de la France, on ne peut pourtant la considérer comme une entreprise de la politique française. Saint Louis laissa les mains libres à son frère, mais ne fit rien pour l’appuyer et considéra les affaires de Sicile comme étrangères au royaume. Il n’en alla plus de même sous son successeur Philippe le Hardi (1270-1285). Jusqu’à lui, la conduite des rois de France avait été exclusivement dominée par le souci de consolider le royaume, d’en écarter les influences étrangères et d’en grouper les diverses parties sous leur pouvoir. Leur grand ennemi, leur seul ennemi avait été l’Angleterre et s’ils avaient cherché des alliés à l’extérieur, ce n’avait été que pour pouvoir mieux triompher d’elle au dedans. L’œuvre avait réussi et la France était devenue une grande puissance. Saint Louis ne s’était servi de ses forces que pour garantir la paix ; Philippe le Hardi se lança dans une politique d’expansion à laquelle le génie ambitieux et remuant de son oncle, Charles d’Anjou, ne fut sûrement pas étranger. Il se laissa entraîner par lui, en 1272, à la mort de Richard de Cornouailles, à poser, ou pour mieux dire, à permettre que l’on parlât de sa candidature à la couronne de roi des Romains qui, si elle avait réussi, eut impliqué la France, au profit du roi de Sicile, dans l’inextricable fourré des querelles d’Allemagne. L’élection de Rodolphe de Habsbourg empêcha heureusement la réalisation de ce projet. Il eut du moins pour résultat d’inspirer à Rodolphe une condescendance sans bornes à l’égard de la maison de France. Charles en profita pour lui faire renoncer à toutes prétentions sur la Sicile, Philippe, pour obtenir de lui en 1281 le protectorat de l’évêché de Toul. Tant de bonne volonté ne pouvait naturellement qu’encourager le roi à s’étendre de plus en plus au delà de la frontière de l’Empire. Déjà il s’était fait prêter serment de fidélité en 1272 par l’archevêcque de Lyon. Dans les Pays-Bas, il soutenait le comte de Flandre, Guillaume de Dampierre, dans sa lutte contre la maison d’Avesnes, lui faisait obtenir le comté de

  1. Une paix définitive fut signée en 1302 entre Frédéric d’Aragon et Robert d’Anjou.