Page:Pirenne - Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle.djvu/398

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vertis. La supériorité matérielle des civilisations supérieures est pour elles vis-à-vis des païens le plus puissant moyen de propagande religieuse. Vis-à-vis des adeptes d’une foi étrangère et exclusive au contraire, leur brillant même et leur richesse renforcent et exaspèrent jusqu’à la haine l’opposition confessionnelle parce qu’ils y prennent l’apparence d’une impiété, d’une offense au vrai Dieu. Et dès lors, la rafle et le pillage étant justifiés à l’avance, les instincts les plus brutaux peuvent se déchaîner librement sans inquiéter les consciences. Le devoir, le sentiment, l’intérêt s’allient chez les chrétiens d’Espagne pour les pousser à la guerre sainte. Guerre sainte dans toute la force du terme car son but n’est pas la conversion, mais le massacre ou l’expulsion des infidèles. Aucune trace chez les Espagnols de cette tolérance qui laisse aux sujets catholiques des Musulmans, aux Mozarabes, le libre exercice de leur culte. Leur exclusivisme religieux est si entier qu’il ne désarme pas même en face de l’abjuration et que les Moriscos (Musulmans baptisés) leur inspirent une insurmontable méfiance. Il ne suffit pas d’être chrétien il faut être « vieux chrétien », ce qui revient à dire « de vieille souche espagnole », si bien que la nationalité devient la preuve de l’orthodoxie et que le sentiment se confondant avec la foi s’imprègne de son intransigeance et de son ardeur.

On a vu plus haut que les Maures, incapables de résister depuis le milieu du xie siècle aux armes victorieuses des chrétiens, avaient appelé à la rescousse les Almoravides du Maroc. La bataille de Sabacca (1086) avait arrêté l’élan des Espagnols, mais ne l’avait pas brisé. Si pendant un siècle la guerre ne présente plus de grandes actions militaires, elle se signale par un acharnement ininterrompu. Les prouesses des héros alimentent les « romances » qui, vers la même époque où l’épopée féodale française s’exprime par la Chanson de Roland, exaltent la gloire du Cid Campeador, mort en 1099, l’année même de la prise de Jérusalem. Tandis que Roland devenait une grande figure de la littérature européenne, le Cid est demeuré une gloire locale. C’est que l’attention des contemporains, attirée par le spectacle plus retentissant des Croisades, a négligé au xiie siècle la guerre d’Espagne, comme elle devait le faire en 1812 au profit de la campagne de Russie. Pourtant de même que c’est en Espagne qu’a commencé le déclin de Napoléon, c’est également l’Espagne qui a procuré au catholicisme du Moyen Age ses seules victoires durables sur l’Islam. Elles eussent été plus rapides et plus décisives si les chrétiens eussent uni leurs efforts