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strophe un moment écartée ne tarda-t-elle pas à se faire plus menaçante que jamais. Mourad II (1421-1451) reparut devant les murs de Constantinople, reprit Salonique, et malgré l’héroïsme de Georges Castriotis (Scanderberg) en Albanie, de Jean Hunyade sur les frontières hongroises, la domination turque, après la bataille de Varna (1444) fut rétablie dans toute la Péninsule des Balkans.

Cette fois, le sort de Constantinople était inévitable. Quel secours attendre de l’Europe où la France et l’Angleterre étaient épuisées par la Guerre de cent ans, l’Allemagne troublée par le hussitisme, l’Église en proie aux disputes du pape et des conciles ? L’union de l’Église grecque à l’Église latine, que l’empereur Manuel laissa proclamer par Eugène VI en 1439, attira à peine l’attention de l’Occident et n’eut d’autre résultat que d’exaspérer la populace byzantine et le clergé orthodoxe, résolus à être turcs plutôt que papistes. Dans les Pays-Bas, le duc Philippe le Bon parlait bien de Croisade, mais ne partait pas et quand même il fût parti !… Pour sauver Constantinople, ce n’était pas une expédition militaire, si puissante qu’elle fût, qui eût pu amener quelque résultat. En présence d’un ennemi comme le Turc, toujours capable d’amener d’Asie des réserves nouvelles et d’entretenir à peu de frais la guerre au moyen des masses robustes de toute une nation guerrière, ce qu’il eût fallu, c’eût été le long du Bosphore, dans les îles et sur le Danube, une puissante et permanente base militaire. Quel État dans les conditions politiques et économiques de ce temps, eût été capable de l’organiser, d’en supporter les dépenses et d’en assurer l’entretien ? Tout grossiers qu’ils fussent, les Turcs étaient au moins, en art militaire, les égaux des Occidentaux. Ils avaient des vaisseaux de guerre, de l’artillerie, une cavalerie incomparable, la fougue brutale et le fanatisme héroïque des primitifs. D’ailleurs, les États les plus intéressés à les combattre, quand même ils eussent été plus puissants, ou ne le voulaient pas, ou ne le pouvaient pas. Les Vénitiens ne songeaient qu’à la sauvegarde de leurs comptoirs. L’Allemagne morcelée était incapable de tout effort. Elle abandonna les Hongrois à eux-mêmes, et que pouvaient-ils sinon se borner à défendre leurs frontières ? Quant aux Serbes et aux Bulgares, ils étaient épuisés. Lorsque Mahomet II mit en 1452 le siège devant Constantinople, personne ne vint au secours de la ville. Sa chute était fatale. Et il ne faut pas reprocher à l’Europe de ne s’y être pas intéressée. L’effort qu’elle eût dû faire était trop grand. Elle le sentait bien. Du moment que l’Empire byzantin n’avait pu défendre