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PROTAGORAS

Je crois qu’ils ne pourraient dire le contraire. » — « Je ne le crois pas non plus, » dit Protagoras.

— « Mais quand vous poursuivez le plaisir, n’est-ce pas comme un bien et quand vous fuyez la douleur n’est-ce pas comme un mal ? » — « D’accord. » — « De sorte que le mal, à vos yeux, c’est la douleur, et que le bien, c’est le plaisir, puisqu’une joie même vous apparaît comme un mal si elle vous prive de plus d’agréments qu’elle n’en comporte par elle-même ou si elle vous prépare des souffrances supérieures à ce qu’elle vous donne de plaisirs. Il est évident en effet que si vous aviez en vue un autre critérium quand vous déclarez la joie elle-même mauvaise, vous pourriez nous l’indiquer : mais vous ne le pourrez pas. » — « C’est aussi mon opinion, » dit Protagoras. — « Pour la souffrance, le cas n’est-il pas le même ? La souffrance ne vous paraît-elle pas bonne quand elle vous préserve d’autres souffrances plus grandes qu’elle n’est elle-même, ou quand elle vous assure des plaisirs supérieurs ? Si vous faites entrer en ligne de compte d’autres considérations que celles-là quand vous la jugez bonne, dites-les : mais vous ne le pourrez pas. » — « Tu dis vrai, » reprit Protagoras.

Je continuai : « À votre tour, ô hommes, si vous me demandez : « Pourquoi tant de discours sous toutes les formes sur ce même sujet ? » je vous répondrai : « Pardonnez-moi ; c’est d’abord qu’il n’est pas facile d’élucider ce que vous entendez par ces mots, être vaincu par le plaisir ; ensuite, c’est que ce premier éclaircissement entraîne tous les autres. Mais il est encore temps[1] de vous reprendre et de voir si le bien ne serait pas pour vous autre chose que le plaisir, le mal autre chose que la souffrance, ou s’il vous suffit de vivre une vie agréable exempte de douleurs ? Si cela vous suffit, si vous ne pouvez concevoir le bien et le mal qu’en relation avec ce genre de résultats, écoutez ce que j’ai à vous dire.

« Je vous déclare que, s’il en est ainsi, votre langage est absurde lorsque vous dites que souvent un homme, connaissant qu’une chose est mauvaise, l’accomplit cependant, sans y être forcé, parce qu’il est entraîné et égaré par le plaisir : après quoi vous dites aussi qu’un homme, connaissant le

  1. Cet avertissement marque le passage à la seconde partie de la discussion (355 a-357 b) : le bonheur étant un « choix correct du plaisir » est affaire de science.