Page:Pline l'ancien - Histoire naturelle, Littré, T1 - 1848.djvu/11

La bibliothèque libre.
(Redirigé depuis Page:Pline-I.djvu/11)
Cette page a été validée par deux contributeurs.
v
NOTICE SUR PLINE.

res de Germanie sont en vingt livres : il y a réuni toutes les guerres que nous avons faites avec les Germains. Il avait commencé cet ouvrage pendant qu’il servait en Germanie, averti par un songe. En effet, dormant, il vit devant lui apparaître la figure de Drusus Néron, qui, après les conquêtes les plus étendues dans la Germanie, y mourut. Drusus lui recommandait sa mémoire, et lui demandait de le protéger contre un injurieux oubli. Puis vinrent les trois Livres studieux (tres Studiosi), divisés en six volumes à cause de l’étendue, et dans lesquels l’orateur est pris au berceau et mené jusqu’à perfection. Huit livres du Langage douteux furent écrits sous Néron, dans les dernières années, alors que toute espèce d’étude un peu libre et relevée était devenue périlleuse par la servitude. Enfin l’histoire, qui commence là où finit Aufidius Bassus, en trente et un livres, et les Histoires de la nature en trente-sept : ce dernier ouvrage est étendu, savant, et non moins varié que la nature elle-même. Vous vous étonnez que tant de volumes, dont beaucoup ont réclamé tant de recherches, aient été écrits par un homme occupé : vous vous étonnerez davantage quand vous saurez qu’il a quelque temps plaidé comme avocat, qu’il est mort à cinquante-six ans, et que le temps intermédiaire a été tiraillé et gêné soit par des emplois très considérables, soit par l’amitié des princes. Mais il avait un esprit vif, un zèle incroyable, une force à veiller extraordinaire. Il commençait à se lever avant le jour, et beaucoup avant le jour, aux fêtes de Vulcain (le 23 août), non pour se porter bonheur, mais pour étudier. En hiver, il se mettait à l’ouvrage à la septième heure de la nuit, au plus tard à la huitième, souvent à la sixième[1] ; au reste, il avait la faculté de dormir en toute circonstance, et parfois même le sommeil le prenait et le quittait au milieu de l’étude. Avant le jour il se rendait chez l’empereur Vespasien (car celui-ci aussi employait ses nuits), puis il allait aux fonctions qu’il avait à remplir. Rentré chez lui, il donnait à l’étude ce qui lui restait de temps. Après le repas (il prenait le repas du matin à la façon des anciens, léger et de facile digestion), il restait souvent en été étendu au soleil, s’il avait quelque loisir. Un livre était lu, il notait et extrayait, car il n’a jamais rien lu sans en faire des extraits ; il répétait même qu’il n’était pas de livre si mauvais qui n’eût quelque utilité. Après l’insolation, il se lavait d’ordinaire à l’eau froide ; puis, il goûtait et faisait une très courte sieste. Alors, comme si une nouvelle journée commençait, il étudiait jusqu’à l’heure du repas du soir : pendant ce repas un livre était lu, annoté, le tout avec rapidité. Il me souvient qu’un de ses amis rappela le lecteur, qui avait mal prononcé quelques mots, et les lui fit répéter. Mon oncle lui dit : « Aviez-vous compris ? Oui, répondit l’autre. Pourquoi donc faire reprendre ? Votre interruption nous a fait perdre dix lignes. » Tant il était avare du temps ! En été, il quittait la table, au repas du soir, de jour ; en hiver, avant la fin de la première heure de la nuit[2] : on aurait dit qu’une loi l’y obligeait. Voilà comme il vivait au milieu des travaux et du tumulte de Rome. Dans la retraite il n’enlevait à l’étude que le temps du bain, et quand je dis du bain, je parle de ce qui se passe dans le bain même ; car pendant qu’on le frottait et qu’on l’essuyait il écoutait quelque lecture, ou il dictait. En voyage il n’avait plus, comme délivré de toute autre occupation, que celle-là : à son côté était un secrétaire avec un livre et des tablettes ; en hiver ce secrétaire avait les mains garnies de mitaines pour que le froid même n’enlevât aucun moment au travail. Aussi à Rome allait-il en chaise à porteurs. Je me rappelle qu’il me réprimanda parce que je me promenais : « Vous pouviez, me dit-il, ne pas perdre ces heures ; » car il regardait comme perdu tout le temps qui n’était pas donné à l’étude. C’est grâce à cette activité qu’il a composé tant d’ouvrages ; et il m’a laissé cent soixante registres de morceaux de choix, registres écrits très fin et même sur le verso, ce qui en augmente encore le nombre. Il racontait lui-même qu’il avait pu, lorsqu’il était procurateur en Espagne, vendre ses registres à Largius Licinius quatre cent mille sesterces (42 000 fr.) ; et alors ils n’étaient pas aussi nombreux. Ne vous semble-t-il pas, en vous représentant combien il a lu, combien il a écrit, qu’il n’a été ni dans les emplois publics ni dans l’amitié des princes ? D’un autre côté, quand vous apprenez combien il a étudié, ne vous semble-t-il pas qu’il n’a ni lu ni écrit assez ? En effet, quels travaux ne devaient pas être ou empêchés par de telles occupations, ou accomplis par une activité si insistante ? Aussi je ris quand certaines gens m’appellent laborieux, moi qui, comparé à lui, suis si paresseux ! et, moi, encore suis-je pris par des devoirs les uns publics, les autres dus à des amis. Mais parmi ceux dont toute la vie est consacrée aux lettres, quel est celui qui, à côté de mon oncle, ne rougisse d’une vie qui semble n’être que sommeil et oisiveté ? Ma lettre s’est étendue, et pourtant j’avais résolu de n’écrire que ce que vous me demandiez, à savoir quels livres il a laissés. Toutefois j’ai l’espérance que ces détails ne vous seront pas moins agréables que les livres eux-mêmes ; détails qui peut-être vous exciteront non seulement à lire ces livres, mais encore à entreprendre, par le stimulant de l’émulation, quelque travail semblable. Adieu. »

Des ouvrages de Pline un seul est arrivé jusqu’à nous, son Histoire naturelle. Ce n’est pas, à proprement parler, ce que dans notre langage moderne nous entendrions par un titre semblable. Voici le plan de ce livre : L’auteur commence par exposer des notions sur le monde, la terre, le soleil, les planètes, et les propriétés remarquables des éléments. De là il passe à la description géographique des parties de la terre connues des anciens. Après la géographie vient ce que nous appellerions l’histoire naturelle, à savoir, l’histoire des animaux terrestres, des poissons, des insectes et des oiseaux.

  1. Vers le solstice d’hiver, à Rome, la sixième heure répond à minuit, la septième à une heure vingt minutes, la huitième à deux heures quarante minutes.
  2. La première heure de la nuit commençait au coucher du soleil.