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DEUXIÈME ENNÉADE.

terre et l’eau contiennent déjà les autres éléments. Mais ceux-ci, nous dira-t-on encore, ne sauraient servir à unir la terre et l’eau. Nous affirmerons néanmoins que la terre et l’eau sont liées parce que chacun de ces deux éléments renferme tous les autres.

Au reste, nous avons à examiner si la terre est invisible sans le feu, et le feu intangible sans la terre. S’il en était ainsi, rien n’aurait une essence propre. Toutes les choses seraient mêlées ; chacune d’elles ne devrait son nom qu’à l’élément qui prédominerait en elle : car on prétend que la terre ne saurait subsister sans l’humidité de l’eau, qui seule en tient les parties unies. En accordant que cela soit vrai, il n’en resterait pas moins absurde de dire que chacun des éléments est quelque chose, tout en prétendant qu’il ne possède pas de constitution propre par lui-même, mais seulement par son union avec les autres éléments, qui cependant, chacun en particulier, ne seraient rien non plus par eux-mêmes. Quelle réalité aurait en effet la nature ou l’essence de la terre, si aucune de ses parties n’était terre que parce que l’eau lui servirait de lien ? D’ailleurs que pourra unir l’eau s’il n’y a préalablement une étendue dont elle ait à lier les parties entre elles pour en former un tout continu ? S’il y a une étendue, quelque petite qu’elle soit, la terre existera par elle-même sans le secours de l’eau : sinon, il n’y aura rien que l’eau puisse lier. Quant à l’air, quel besoin la terre pourrait-elle en avoir, puisque l’air subsiste avant qu’on observe en elle aucun changement ? Le feu n’est pas non plus nécessaire à la constitution de la terre : il ne sert qu’à la rendre visible comme les autres objets. En effet, il est raisonnable d’admettre que c’est le feu qui rend les objets visibles : on ne saurait dire qu’on voit les ténèbres[1] ; on ne peut pas plus les voir qu’on ne peut entendre le silence. Au reste, il n’est point nécessaire

  1. Voy. Enn. I, liv. viii, § 9, p. 132.