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LIVRE CINQUIÈME.

sans que l’idée parcoure toute la matière, ou plane au-dessus d’elle, sans qu’elle cesse de rester en soi[1].

Puisque l’idée du feu, par exemple, n’est pas dans la matière, représentons-nous la matière comme servant de sujet aux éléments : l’idée du feu, sans descendre elle-même dans la matière, donnera la forme du feu à toute la matière ignée, tandis que le feu, d’abord mêlé à la matière, constituera une masse multiple. La même conception peut s’appliquer aux autres éléments. Si donc le feu intelligible apparaît en toutes choses comme y produisant une image de lui-même, il ne produit pas[2] cette image dans la matière comme s’il en était séparé localement, à la manière de l’irradiation d’un objet visible (sans cela il serait quelque part et il tomberait sous les sens). Puisque le feu universel est multiple, c’est que, tandis que son idée demeure en elle-même hors de tout lieu, il a engendré de lui-même les lieux[3] : sinon, il faudrait que, devenu multiple [par ses parties], il s’étendît en s’éloignant de lui-même, pour être multiple de cette manière et participer plusieurs fois au même principe. Or, étant indivisible, l’idée n’a pas donné une partie de son essence à la matière ; cependant, malgré son unité, elle a communiqué une forme à ce qui n’est pas contenu dans son unité ; elle a accordé sa présence à l’univers sans façonner ceci par une de ses parties, cela par

  1. « La manière dont la substance corporelle universelle réside dans la substance spirituelle universelle doit être comparée à la manière dont le corps réside dans l’âme. De même que l’âme environne le corps et le porte, de même la substance spirituelle universelle environne le corps universel du monde et le porte ; et de même que l’âme est en elle-même séparée du corps et s’attache à lui sans le toucher, de même la substance spirituelle est en elle-même séparée du corps du monde et s’attache à lui sans le toucher. » (Ibn-Gébirol, Source de la vie, liv. 2 ; trad. de M. Munk, Mélanges de philosophie juive et arabe, p. 36.)
  2. Nous ajoutons ici la négation avec Ficin et Kirchhoff.
  3. Voy. Enn. III, liv. VI, § 17 ; t. II, p. 163.