Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 8, 1931.djvu/24

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basses, dont on vient seulement d’enlever les fumiers. Presque point de châlits en treillis de fil de fer, presque point de paillasses, presque point de lanternes, ni de poêles. Je signale toutes ces lacunes au général d’Urbal, qui s’en prend aux services d’arrière.

La nuit venue, nous allons en automobile, tous feux éteints, jusqu’à la grande route d’Arras à Béthune, à quelques centaines de mètres au sud de la Targette. De là, par un chemin défoncé, nous nous rendons à pied jusqu’aux ruines de Neuville Saint-Vaast. Le ciel est étoilé. Un très mince croissant de lune verse une lumière pâle sur le paysage désolé. Partout des amoncellements de pierres. À notre gauche, des batteries de 75 tirent leurs coups secs. La lueur rouge des « départs » perce l’obscurité. Devant nous, montent des fusées françaises et allemandes, celles-ci malheureusement plus lumineuses et plus durables que celles-là, et tout à coup, les pans de muraille blanchissent, un coin d’horizon apparaît, puis s’éclipse. Dans l’ombre, passent silencieusement des fantômes rapides, soldats qui vont en corvée ou qui rejoignent les tranchées. Nous descendons dans quelques caves, où nous conduit avec sûreté le capitaine Brugère, fils du général, attaché à l’état-major du général d’Urbal. Nous complimentons quelques-uns des hôtes de ces caves, ici des mitrailleurs, là des chasseurs, ailleurs des travailleurs territoriaux, Au retour, sur la route de Marœuil, que nous reprenons à pied, nous croisons les cuisines roulantes, qui apportent le dîner aux défenseurs de Neuville-Saint-Vaast. Et toujours les éclairs du canon et le sifflement des obus.