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RICHARD WAGNER


délire de la persécution. Pas une vraie neurasthénie, sans doute, mais juste cette pointe d’inquiétude angoissée qui effraye tant les faibles sur eux-mêmes et stimule les forts dans leur haine contre la routine et l’autorité. Cette âme grinçait un peu sans trouver d’huile — hors la musique. On attendait cependant de Wagner un renouveau de l’art théâtral ; on le nommait le successeur de Weber. Mais seul l’incompétent public parlait ainsi, pas ses collègues, ni ses pairs.

Berlioz vint à Dresde pour y diriger deux conceris, il entendit Rienzi et le Vaisseau, et fit part de ses impressions à son ami Ernst : « Après avoir supporté en France mille privations et toutes les douleurs attachées à l’obscurité, Richard Wagner étant revenu en Saxe, sa patrie, eut l’audace d’entreprendre et le bonheur d’achever la composition des paroles et de la musique d’un opéra en cinq actes. Cet ouvrage obtint à Dresde un succès éclatant. Je me souviens d’une belle prière chantée au dernier acte par Rienzi et d’une marche triomphale bien modelée, sans imitation servile… La partition du Vaisseau Hollandais m’a semblé remarquable par son coloris sombre et certains effets orageux parfaitement motivés par le sujet ; mais j’ai dû y reconnaître aussi un abus du tremolo d’autant plus regrettable qu’il m’avait déjà frappé dans Rienzi et qui indique chez l’auteur une certaine paresse d’esprit contre laquelle il ne se tient pas assez en garde. » Or, ce tremolo jugé regrettable, cette pulsation intérieure de l’orchestre, n’est autre chose que le pressentiment des gradations harmoniques compliquées d’altérations chromatiques qui, plus tard, s’épanouiront magnifiquement dans Tristan. Mais, Berlioz, d’une génération déjà vieilissante, ne pouvait pas saisir ces nouveaux rappors sonores d’une complexité inouïe, où tous les moyens musicaux se combinent afin d’exprimer des nuances d’émotions. Il n’entendait probablement même pas les effets inconnus que ce débutant tirait de l’harmonie complémentaire par des contrastes en succession. Tout ce nouveau relief devait passer inaperçu de la foule (ou la choquer), et même déplaire aux spécialistes dont l’oreille n’admettait pas tout de suite ces « accidents » éclatants, dus à un sonoris harmonique formé des plus savantes, des plus achevées dissonances. Et qui aurait pu reconnaître dans le Wagner