Page:Proudhon - De la création de l’ordre dans l’humanité.djvu/115

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père n’accordait non plus aux vérités arithmétiques qu’une réalité subjective ; mais, par une bizarrerie singulière, il portait un jugement différent de la géométrie. La même pensée faisait dire à P.-L. Courier, dans cette profession de foi comique : Je crois que la ligne droite est le plus court chemin d’un point à un autre… : je tiens aussi que deux et deux font quatre ; mais je n’en suis pas sûr !

Restituer aux mathématiques, à l’arithmétique du moins, leur réalité objective et leur caractère d’absolu, est une chose qui mérite que nous nous y arrêtions quelques instants, d’autant plus que cette discussion va nous faire apparaître la loi sérielle sous un jour tout nouveau.

182. Parce que la série décimale, fondement de l’arithmétique, n’est frappée d’aucun caractère de nécessité par la nature, on a cru que l’arithmétique était un produit de l’intelligence, que rien, hors du moi, ne pouvait certifier. On ne réfléchissait pas que si, pour exécuter les opérations arithmétiques, le choix d’un système de numération était libre, il était nécessaire d’en faire un, puis de s’y arrêter irrévocablement. Or, c’est cette nécessité absolue de choisir entre tous les systèmes de sériation arithmétique qui démontre l’objectivité de la science. La nature, dans ses combinaisons numériques, ne suit aucune série particulière, parce qu’elle les accepte toutes ; les lois de l’Attraction, des vibrations des corps sonores, des équivalents chimiques, etc., sont vraies, éternellement vraies dans tous les systèmes de numération possibles : c’est nous qui, pour comprendre la nature que nous ne pouvons embrasser dans toutes ses séries à la fois, avons besoin de nous conduire à l’aide d’un mètre déterminé, là où la nature n’emploie que sa grande loi sérielle[1].

183. Ce qu’il y a de conventionnel et d’arbitraire dans notre système arithmétique ne prouve donc rien contre l’absolu de la science et n’accuse que la faiblesse de notre intelligence ; il y a mieux : il est utile et souvent indispensable pour nous d’étudier comparati-

  1. Il est impossible de concevoir comment le rapport de nombre par lequel on exprime les pesanteurs spécifiques des corps n’aurait qu’une certitude subjective, tandis que le rapport du diamètre à la circonférence aurait une certitude objective. Les corps ne nous enseignent pas plus la géométrie que l’arithmétique : ils nous fournissent des termes de comparaisons, dans leur symétrie, leur série ou leur différence, et c’est en les comparant que nous devinons les secrets de la nature, la science de Dieu, si j’ose ainsi dire. Ainsi ou il faut admettre la légitimité objective de l’arithmétique au même titre que celle de la géométrie ; ou il faut nier celle-ci, et avec elle la certitude extérieure de toutes nos idées, c’est-à-dire mettre en doute l’existence des êtres. Au 7e §, nous répondrons à ce doute.