Page:Proudhon - De la création de l’ordre dans l’humanité.djvu/94

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On peut affirmer hardiment que ce qui a été dit de meilleur sur l’enfance des sociétés, le progrès de la civilisation, la valeur du symbolisme religieux, et la tendance des gouvernements, date de la publication de ces idées, qui, rapidement vulgarisées, gouvernent maintenant l’opinion.

L’histoire de la philosophie, entreprise par les philosophes, a donné le secret des révolutions de l’humanité et soulevé un coin du voile qui couvre notre nature. Grâce à ces études, nous savons que le développement de l’individu est identique au développement de l’espèce, et que celle-ci n’étant, pour ainsi dire, que le grossissement de celui-là, c’est dans l’histoire et la législation comparées qu’il faut étudier le moi, et chercher la psychologie. Grâce à cette revue des philosophies, la Religion a été devinée ; le sens de ses dogmes et de ses mystères a été compris, et nous avons senti en même temps que cette forme primitive de notre pensée révélait en nous des aspirations inexplicables et d’impérieuses tendances. Grâce enfin à l’examen de conscience des philosophes, le jour commence à luire sur l’avenir des peuples, ensevelis encore dans les langes d’une superstition sacrée ou d’un fatalisme inflexible ; le respect de l’homme et la foi à ses hautes destinées sont revenus au cœur des politiques ; les royautés s’abaissent, le prolétariat grandit, et de toutes parts on proclame que le peuple atteint l’âge viril, et qu’il est temps de constituer la grande famille.

Ce que ne comprenait pas Bossuet, et qu’il adorait sous le nom de Providence ; ce que Montesquieu soupçonnait à peine ; ce qu’entrevirent Herder et Vico, la grande loi de l’histoire, en un mot le Progrès, nous le voyons se dégager devant la discussion éclectique comme le soleil apparaît au milieu des nuages chassés par le souffle de la bise. De tels services ne s’oublient pas, et suffisent à légitimer, aux yeux de la raison, le passage de la philosophie. Mais tous les faits sociaux ne sont pas donnés ; encore quelques efforts d’intelligence, encore quelques secousses du monstre populaire, et l’histoire se lira dans l’avenir comme dans le passé : alors, embrassant le temps dans ses deux dimensions, nous commencerons à devenir comme des dieux, éternels.

146. Quelles sont donc les conclusions prises par la philosophie elle-même, d’après les données de son histoire, sur sa destinée future ? Elles sont au nombre de deux.

a) La première pensée que suggérèrent l’analyse et la comparaison de tant de doctrines fut une pensée d’éclectisme : il n’en pouvait être autrement. En effet, disait-on, l’erreur n’est jamais absolue : cela se démontre à priori. L’erreur n’est qu’une image inexacte de la réalité, un rapport mal saisi, une loi mal formulée.