Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 1, Garnier, 1850.djvu/131

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loppe, le gros des employés voit réduire son traitement. — Un facteur de la poste reçoit depuis 400 jusqu’à 600 fr. de traitement annuel, sur quoi l’administration retient environ le dixième pour la retraite. Après trente ans d’exercice, la pension, ou plutôt la restitution, est de 300 fr. par an, lesquels, cédés à un hospice par le titulaire, lui donnent droit au lit, à la soupe et au blanchissage. Le cœur me saigne à le dire, mais je trouve que l’administration est encore généreuse : quelle voulez-vous que soit la rétribution d’un homme dont toute la fonction consiste à marcher ? La légende ne donne que cinq sous au Juif-Errant ; les facteurs de la poste en reçoivent vingt ou trente ; il est vrai que la plupart ont une famille. Pour la partie du service qui demande l’usage des facultés intellectuelles, elle est réservée aux directeurs et commis : ceux-ci sont mieux payés, ils font travail d’hommes.

Partout donc, dans les services publics comme dans l’industrie libre, les choses sont arrangées de telle sorte que les neuf dixièmes des travailleurs servent de bêtes de somme à l’autre dixième : tel est l’effet inévitable du progrès industriel, et la condition indispensable de toute richesse. Il importe de se bien rendre compte de cette vérité élémentaire, avant de parler au peuple d’égalité, de liberté, d’institutions démocratiques, et autres utopies, dont la réalisation suppose préalablement une révolution complète dans les rapports des travailleurs.

L’effet le plus remarquable de la division du travail est la déchéance de la littérature.

Au moyen âge et dans l’antiquité, le lettré, sorte de docteur encyclopédique, successeur du troubadour et du poëte, sachant tout, pouvait tout. La littérature, la main haute, régentait la société ; les rois recherchaient la faveur des écrivains, ou se vengeaient de leurs mépris en les brûlant eux et leurs livres. C’était encore une manière de reconnaître la souveraineté littéraire.

Aujourd’hui, l’on est industriel, avocat, médecin, banquier, commerçant, professeur, ingénieur, bibliothécaire, etc. ; on n’est plus homme de lettres. Ou plutôt quiconque s’est élevé à un degré quelque peu remarquable dans sa profession, est par cela seul et nécessairement lettré : la