Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 1, Garnier, 1850.djvu/70

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nients de ses principes ; en un mot, ils ont nié la science[1].

Ainsi la division du travail, sans laquelle la production serait à peu près nulle, est sujette à mille inconvénients, dont le pire est la démoralisation de l’ouvrier ; les machines produisent, avec le bon marché, l’encombrement et le chômage ; la concurrence aboutit à l’oppression ; l’impôt, lien matériel de la société, n’est le plus souvent qu’un fléau redouté à l’égal de l’incendie et de la grêle ; le crédit a pour corrélatif obligé la banqueroute ; la propriété est une fourmilière d’abus ; le commerce dégénère en jeu de hasard, où même il est quelquefois permis de tricher : bref, le désordre se trouvant partout en égale proportion avec l’ordre, sans qu’on sache comment celui-ci parviendra à éliminer celui-là, taxis ataxian diôkein, les économistes ont pris le parti de conclure que tout est pour le mieux, et regardent toute proposition d’amendement comme hostile à l’économie politique.

L’édifice social a donc été délaissé ; la foule a fait irruption sur le chantier : colonnes, chapiteaux et socles, le bois, la pierre et le métal, ont été distribués par lots et tirés au sort, et de tous ces matériaux rassemblés pour un temple magnifique, la propriété, ignorante et barbare, a construit des huttes. Il s’agit donc, non-seulement de retrouver le plan de l’édifice, mais de déloger les occupants, lesquels soutiennent que leur cité est superbe, et, au seul mot de restauration, se rangent en bataille sur leurs portes. Pareille confusion ne se vit autrefois à Babel : heureusement nous parlons français, et nous sommes plus hardis que les compagnons de Nemrod.

Quittons l’allégorie : la méthode historique et descriptive, employée avec succès tant qu’il n’a fallu opérer que des reconnaissances, est désormais sans utilité : après des milliers de monographies et de tables, nous ne sommes pas plus avancés qu’au temps de Xénophon et d’Hésiode. Les Phéni-

  1. « Le principe qui préside à la vie des nations, ce n’est pas la science pure : ce sont les données complexes qui ressortent de l’état des lumières, des besoins et des intérêts. » Ainsi s’exprimait, en décembre 1844, un des esprits les plus lucides qui soient en France, M. Léon Faucher. Qu’on explique, si l’on peut, comment un homme de cette trempe a été amené, par ses convictions économiques, à déclarer que les données complexes de la société sont opposées à la science pure.