Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/133

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s’étaient élevés en suivant les voies du commerce, parvenir à la première des dignités de l’État, à celle de président du conseil des ministres !… » (M. Chevalier, Cours d’économie politique. Discours d’ouverture de 1845.) Écoutons maintenant l’économiste philosophe et sévère ; et tâchons de bien goûter la leçon :

« Le crédit n’est point une anticipation de l’avenir, une déception de chrématistique, qui ne fait que déplacer les capitaux en ayant l’air de les créer. Le crédit est la métamorphose des capitaux stables et engagés, en capitaux circulants ou dégagés. Il faut donc que le crédit soit adossé à des réalités, et non à des expectatives ; il demande des hypothèques et non des hypothèses… Ex ni nihilo nihil fit : donc, si vous voulez créer, exhibez vos matériaux, et ne présentez pas ce qui doit être créé comme instrument de création ; car ce n’est qu’un cercle vicieux… Le mal intime qui mine le crédit, c’est qu’on escompte le but au lieu des moyens. » (Cieszkowski, Du crédit et de la circulation.)

Admirable d’expression, mais désespérant de logique ! Ainsi le crédit, en bonne et saine économie, n’est point accordé à la personne, mais à l’hypothèque ; le crédit, si magnifiquement défini la métamorphose des capitaux engagés en capitaux circulants, est l’échange révocable d’un capital quelconque contre de l’argent, une vente à réméré. Donc, malgré l’étymologie du nom, crédit c’est méfiance, puisque l’homme qui ne possède rien n’obtiendra jamais crédit. Tout au contraire c’est lui qui, forcé de servir pour vivre, livrera éternellement son travail à crédit, pendant huit, quinze ou trente jours, à un entrepreneur !

Et l’on nous parle d’organiser le crédit, comme si le crédit était autre chose que la circulation d’une marchandise accessible seulement à ceux qui possèdent des capitaux susceptibles d’hypothèque ! Mais parlez donc d’organiser le gage du crédit, car c’est la chose qui manque ; le gage du crédit, entendez-vous ? c’est-à-dire la possession de la terre, l’industrie et le travail. Le crédit ne manquera jamais aux réalités ; la confiance aux choses est sans bornes : la confiance à l’homme, le crédit aux personnes, fait défaut partout. Donc encore une fois, c’est surtout le gage du crédit, ce sont les motifs de confiance envers les individus qu’il s’agit de créer : et parler de créditer le travail, avant d’avoir policé le travail, c’est construire une ombre de chemin de fer pour transporter des ombres de voyageurs dans des ombres de wagons.