Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/167

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nyme du vouloir, l’amour sans autre objet, sans autre cause déterminante que lui. Dieu, c’est l’égoïsme parfait, la solitude absolue, la concentration suprême. Sous tous les rapports, Dieu, nature inverse de l’homme, existe par lui-même et sans opposition, ou plutôt il produit au dedans de lui le non-moi au lieu de le chercher au dehors ; bien qu’il se distingue il est toujours moi ; sa vie ne s’appuie sur rien autre ; dès qu’il se sait, il vit, et tout existe, tout est prouvé pour lui : Ego sum qui sum, dit-il. Dieu est vraiment l’être incompréhensible, ineffable, et pourtant nécessaire : que la raison répugne à le dire, elle n’en est pas moins forcée de le dire.

Il en est autrement de l’homme, de l’être fini. Celui-ci n’existe ni par lui-même ni en lui-même ; il faut à son individu un milieu ambiant dans lequel sa raison se réfléchisse, sa vie s’éveille, et son âme, comme ses organes, puise sa subsistance. Telle est du moins la manière dont nous concevons le développement de notre être : ce point est avoué de tous ceux qui ne se sont point obstinés dans la contradiction des pyrrhoniens.

Il s’agit donc de reconnaître le sens de ce phénomène et de déterminer la qualité de ce non-moi, que la conscience nous présente comme une réalité extérieure, nécessaire à notre existence, mais indépendante de notre existence.

Or, disent les sceptiques, admettons que le moi ne puisse raisonnablement douter qu’il existe : de quel droit affirmerait-il une réalité extérieure, une réalité qui n’est pas lui, qui lui reste impénétrable, et qu’il qualifie non-moi ? Les objets que nous voyons hors de nous sont-ils véritablement hors de nous ? et s’ils existent hors de nous, sont-ils tels que nous les voyons ? Ce que les sens nous rapportent des lois de la nature vient-il de la nature, ou bien ne serait-ce qu’un produit de notre activité pensante, qui nous montre hors d’elle ce qu’elle projette de son propre sein ? L’expérience ajoute-t-elle quelque chose à la raison, ou n’est-elle que la raison manifestée à elle-même ? Quel moyen, enfin, de vérifier la réalité ou la non-réalité de ce non-moi ?…

Cette question singulière, que le sens commun tout seul n’eut jamais faite, présentée par les plus profonds génies qui aient honoré notre race, et développée avec une éloquence, une sagacité, une variété de formes merveilleuse, a donné lieu à une infinité de systèmes et de conjectures, qu’il est fort difficile d’entendre dans leurs volumineux auteurs, mais