Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/168

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dont on peut se faire une idée, en les réduisant à quelques lignes.

Quelques-uns d’abord ont prétendu que le non-moi n’existe pas. C’était naturel, et l’on devait s’y attendre. Un non-moi qui s’oppose au moi, c’est comme un homme qui vient en troubler un autre dans sa possession : le premier mouvement de celui-ci est de nier un tel voisinage. Il n’y a point de corps, ont-ils dit, point de nature, point d’apparitions hors du moi, point d’autre essence que le moi. Tout se passe dans l’esprit ; la matière est une abstraction, et ce que nous voyons et affirmons comme le tenant d’une nous ne savons quelle expérience, est le produit de notre activité pure, qui, en se déterminant elle-même, s’imagine recevoir du dehors ce qu’il est de son essence de créer, ou, pour parler plus juste, de devenir, puisque, relativement à l’âme, être, produire et devenir, sont synonymes.

Mais, observe le sens commun, nous distinguons, bon gré mal gré, dans la connaissance, deux modes, la déduction et l’acquisition. Par la première, l’esprit semble créer en effet tout ce qu’il apprend : telles sont les mathématiques. Par la seconde, au contraire, l’esprit, sans cesse arrêté dans son progrès scientifique, ne marche plus qu’à l’aide d’une excitation perpétuelle, dont la cause est pleinement involontaire et hors de la souveraineté du moi. Comment donc, dans le spiritualisme, rendre raison de ce phénomène, qu’il est impossible de méconnaître ? Comment, si toute la science vient du moi seul, n’est-elle pas spontanée, complète dès l’origine, égale dans tous les individus, et chez le même individu à tous les moments de l’existence ? Comment enfin expliquer l’erreur et le progrès ? Au lieu de résoudre le problème, le spiritualisme l’écarté : il méconnaît les faits les mieux acquis, les plus indubitables, savoir les découvertes expérimentales du moi ; il donne la torture à la raison ; il est forcé, pour se soutenir, de révoquer en doute son propre principe, en niant le témoignage négatif de l’esprit. Le spiritualisme est contradictoire, inadmissible.

D’autres alors se sont présentés, qui ont soutenu que la matière seule existe, et que c’est l’esprit qui est une abstraction. Rien n’est vrai, ont-ils dit, rien n’est réel hors de la nature ; rien n’existe que ce que nous pouvons voir, toucher, compter, peser, mesurer, transformer ; rien n’existe que les corps et leurs infinies modifications. Nous sommes nous-mêmes corps, corps organisés et vivants ; ce que nous appe-