Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/170

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vélation, nous atteste leur réalité. Et comme toutes choses ont été créées de Dieu, que toutes existent en Dieu, c’est encore en Dieu, esprit infini, de qui procède notre intelligence, que notre intelligence les peut voir. Ainsi s’explique le passage du moi au non-moi, et les rapports de l’esprit et de la matière deviennent intelligibles.

Il était question de Dieu pour la première fois : l’attention des auditeurs redoubla.

Sans doute, dit le sens commun, l’esprit ne pouvant se mettre en conununication qu’avec l’esprit, il est habile de nous faire voir en Dieu, qui est esprit, les choses corporelles qui sont ses ouvrages. Malheureusement ce système repose sur un cercle vicieux et une pétition de principe. D’un côté, avant de croire à Dieu, nous avons besoin de croire à nous-mêmes : or, nous ne sentons notre moi, nous ne sommes assurés de notre existence, qu’autant qu’une réaction extérieure nous la fait sentir, c’est-à-dire qu’autant que nous admettons un non-moi, ce qui est précisément la question. Quant à la révélation, elle a été faite, suivant ses partisans, par des miracles, par des signes dont les instruments sont pris dans la nature. Or, comment juger du miracle et croire à la révélation, si nous ne sommes préalablement assurés de l’existence du monde, de la constance de ses lois, de la réalité de ses phénomènes ?

Le mysticisme a donc ceci d’important, qu’après avoir reconnu la nécessité du sujet et de l’objet, il cherche à les expliquer l’un et l’autre par leur origine. Mais cette origine, qui serait Dieu, selon les mystiques, c’est-à-dire un troisième terme intelligent comme le moi et réel comme le non-moi, on ne le définit, on ne le prouve, on ne l’explique pas ; tout au contraire, en le séparant du monde et de l’homme, on le rend inaccessible à l’intelligence, partant invrai. Le mysticisme est une mystification.

La controverse en était là. Théistes et incrédules, spiritualistes et matérialistes, sceptiques et mystiques, ne pouvant se mettre d’accord, le monde ne savait que croire. On se regardait sans rien dire, lorsque, d’un air grave et d’un esprit modeste, sans nulle emphase, un philosophe, le plus cauteleux et le plus subtil qui fut jamais, prit la parole. Il commença par reconnaître la réalité du moi et du non-moi, ainsi que l’existence de Dieu : mais il prétendit qu’il est radicalement impossible au moi de s’assurer, par voie de raisonnement ou d’expérience, de ce qui est hors de lui, et