Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/176

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de l’infini au fini, de l’idéal au réel, etc. ; il s’ensuit, d’une nécessité logique, que la chaîne des êtres, tous invariablement constitués, mais dans des proportions différentes, en moi et non-moi, est comprise entre deux termes antithétiques, l’un, que le vulgaire nomme créateur, ou Dieu, et qui réunit tous les caractères d’infinité, de spontanéité, d’éternité, d’infaillibilité, etc. ; l’autre, qui est l’homme, rassemblant tous les caractères opposés d’une existence évolutive, réfléchie, temporaire, sujette à perturbation et erreur, et dont la prévoyance forme le principal attribut, comme la science absolue, c’est-à-dire l’instinct à sa plus haute puissance est l’attribut essentiel de la Divinité. Mais l’homme nous est connu à la fois par la raison et l’expérience ; Dieu au contraire ne nous est encore révélé que comme postulat de la raison : en un mot, l’homme est, Dieu est possible.

Tel a été, sur les travaux de la philosophie, le deuxième jugement du sens commun ; jugement dont les motifs sont puisés dans les matériaux fournis par la philosophie elle-même, jugement sans appel, et qui s’est clairement produit le jour où la philosophie a reconnu que la raison ne peut rien sans l’expérience ; qu’à l’égard de Dieu, il ne nous manque plus rien que l’évidence du fait, la démonstration expérimentale ; et où se couvrant le visage de son manteau, elle a dit adieu au monde, et prononcé sur elle le consummatum est.

Est-il possible de nier le dualisme, que nous voyons éclater partout dans le monde ? — Non.

Est-il possible de nier la progression des êtres ? — Non encore.

Or, la loi de cette progression étant connue, et le dernier terme donné, c’est une nécessité de raison qu’il existe un premier terme, et que ce premier terme soit l’antipode du dernier. Ainsi l’être infini, le grand Tout, in quo vivimus, movemur et sumus, le Genre suprême, duquel l’homme tend incessamment à se dégager et auquel il s’oppose comme à son antagoniste, cette Essence éternelle, enfin, ne serait pas l’absolu des philosophes : comme l’homme, son adversaire, elle n’existerait aussi que par sa distinction en moi et non-moi, sujet et objet, âme et corps, esprit et matière, c’est-à-dire sous deux aspects génériques, aussi en opposition diamétrale. Du reste, les attributs, facultés et manifestations de Dieu seraient inverses des attributs, facultés et déterminations de l’homme, ainsi que la logique induit fatalement à