Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/214

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triomphe de l’humanité de savoir reconnaître ce qu’il y a en elle de fatal, comme le plus grand effort de sa vertu est de savoir s’y soumettre. Si donc la raison collective, en instituant la propriété, a suivi sa consigne, elle ne mérite point de blâme : sa responsabilité est à couvert.

Mais cette propriété, que la société, forcée et contrainte, si j’ose ainsi dire, a mise au jour, qui nous garantit qu’elle durera ? Ce n’est point la société, qui l’a conçue d’en-haut, et n’a pu y ajouter, retrancher ou modifier quoi que ce soit. En la conférant à l’homme, elle a laissé à la propriété ses qualités et ses défauts ; elle n’a pris aucune précaution ni contre ses vices constitutifs, ni contre les forces supérieures qui peuvent la détruire. Si la propriété en elle-même est corruptible, la société n’en sait rien, elle n’y peut rien. Si cette propriété est exposée aux attaques d’un principe plus puissant, la société n’y peut pas davantage. Comment, en effet, la société remédierait-elle au vice propre de la propriété, puisque la propriété est fille du destin ? et comment la protégerait-elle contre une idée plus haute, alors qu’elle-même ne subsiste que par la propriété, ne conçoit rien au-dessus de la propriété ?

Voici donc quelle est la théorie propriétaire.

La propriété est de nécessité providentielle ; la raison collective l’a reçue de Dieu et l’a donnée à l’homme. Que si maintenant la propriété est corruptible de sa nature, ou attaquable par force majeure, la société est irresponsable ; et quiconque, armé de cette force, se présentera pour combattre la propriété, la société lui doit soumission et obéissance.

Il s’agit donc de savoir, d’abord, si la propriété est en soi chose corruptible et qui donne prise à la destruction ; en second lieu, s’il existe quelque part, dans l’arsenal économique, un instrument qui la puisse vaincre.

Je traiterai la première question dans ce paragraphe ; nous chercherons ultérieurement quel est l’ennemi qui menace d’engloutir la propriété.

La propriété est le droit d’user et d’abuser, en un mot le despotisme. Non pas que le despote soit présumé avoir jamais l’intention de détruire la chose : ce n’est pas là ce qu’il faut entendre par droit d’user et d’abuser. La destruction pour la destruction ne se préjuge point de la part du propriétaire ; on suppose toujours, quelque usage qu’il fasse de son bien, qu’il y a pour lui motif de convenance et d’utilité. Par abus, le législateur a voulu dire que le propriétaire