Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/267

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nombre, ou plutôt alin d’assurer la liberté de chacun. Quelle est donc la limite de la communauté et de la possession individuelle ? Voilà ce que demandaient à M. Cabet ses consultants.

Mais voilà précisément aussi à quoi M. Cabet ne pouvait répondre sans mentir à son principe et sans déserter son drapeau. Car, si la communauté est mêlée ou pénétrée de possession individuelle, si elle est limitée par la propriété, elle cesse d’être la communauté ; et l’on demande en vertu de quel principe s’opérera ce mélange ou cette pénétration, d’après quelle théorie on en fixera les proportions ou les doses. Aussi M. Cabet s’est-il montré profond diplomate en opposant aux curieux cette fin de non-recevoir : Mon principe, ma théorie, mon système, ma science, ma méthode, ma doctrine, etc., c’est la fraternité, M. Cabet n’avait rien à dire que cela ; et j’admire avec quelle puissance de coup d’œil, quel bonheur d’expression, il l’a trouvé du premier coup.

Or, à ce mot de fraternité, qui contient tant de choses, substituez, avec Platon, la république, qui de dit pas moins ; ou bien avec Fourier, l’attraction, qui dit encore plus ; ou bien avec M. Michelet, l’amour et l’instinct, qui comprennent tout ; ou bien avec d’autres, la solidarité, qui rallie tout ; ou bien enfin avec M. Louis Blanc, la grande force d’initiative de l’état, synonyme de la toute-puissance de Dieu : et vous verrez que toutes ces expressions sont parfaitement équivalentes, de sorte que M. Cabet, répondant du haut de son Populaire à la question qui lui est posée, Ma science, c’est la fraternité, a parlé pour tout le socialisme.

Nous prouverons, en effet, que toutes les utopies socialistes, sans exception, se réduisent à l’exposé si court, si catégorique et si explicite de M. Cabet, Ma science, etc., c’est la fraternité ; que quiconque oserait y ajouter un seul mot de commentaire tomberait aussitôt dans l’apostasie et l’hérésie ; ce qui veut dire que ni Platon, ni les gnostiques, ni les premiers Pères, ni les vaudois, ni Morus, ni Campanella, ni Babeuf, ni Owen, ni Saint-Simon, ni Fourier, ni leur continuateur M. Cabet, ne sont en mesure, à l’aide de leur principe, d’expliquer la société, bien moins encore de lui donner des lois.

Mais comment, parmi toutes ces expressions, fraternité, amour, attraction, etc., que nous prétendons être d’égale force, M. Cabet a-t-il préféré la première ?

Ceci mérite explication.