Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/270

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grand homme, a lu en caractères flamboyants dans le livre des destinées. Nul, quoi que vous disiez, parmi les utopistes anciens et modernes, n’a pénétré plus avant les secrets de la science.

Comment donc, avec cette intelligence merveilleuse des causes premières, secondes et finales ; comment, avec cette habileté sans égale à enfiler des phrases, le socialisme n’a-t-il jamais abouti qu’à inquiéter le monde, sans pouvoir rendre les hommes ni meilleurs, ni plus heureux ? Car enfin, si l’économie politique a pu être jugée par ses œuvres, le socialisme court grand risque aujourd’hui d’être apprécié par son impuissance : il importe donc de nous rendre compte de la stérilité de l’utopie, comme nous avons fait des anomalies de la routine.

Pour quiconque a réfléchi sur le progrès de la sociabilité humaine, la fraternité effective, cette fraternité du cœur et de la raison, qui seule mérite les soins du législateur et l’attention du moraliste, et dont la fraternité de race n’est que l’expression charnelle ; cette fraternité, dis-je, n’est point, comme le croient les socialistes, le principe des perfectionnements de la société, la règle de ses évolutions ; elle en est le but et le fruit. La question n’est pas de savoir comment, étant frères d’esprit et de cœur, nous vivrons sans nous faire la guerre et nous entre-dévorer ; cette question n’en serait pas une ; mais comment, étant frères par la nature, nous le deviendrons encore par les sentiments ; comment nos intérêts, au lieu de nous diviser, nous réuniront. Voilà ce que le simple bon sens révèle à tout homme que l’utopie n’a pas rendu myope. Car, ainsi que nous l’avons démontré par le tableau des contradictions économiques, le développement des institutions civilisatrices ayant pour résultat inévitable de jeter le trouble dans les passions, d’enflammer chez les hommes l’appétit concupiscible et l’appétit irascible, et de faire de ces anges de Dieu autant de bêtes féroces, il arrive que de pauvres créatures, destinées au plaisir, à l’amour, se livrent de furieux combats, se font d’horribles blessures ; et ce n’est pas chose facile de poser entre elles les bases d’un traité de paix. Comment donc sera distribué le travail ? quelle est la loi d’échange ? quelle est la sanction de la justice ? où commence la possession exclusive, où finit-elle ? jusqu’où s’étend la communauté ? dans quelle proportion cet élément fait-il partie de l’organisme collectif, sous quelle forme et selon quelle loi ? comment, en un mot.