Page:Proust - Pastiches et Mélanges, 1921.djvu/37

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et par la porte entr’ouverte du vestibule. Elle rendait plus lourd l’ennui de l’heure. M. de Séryeuse et Lemoine continuaient à causer sur le perron. On entendait un bruit équivoque et pointu comme un éclat de rire furtif. C’était l’épée du gentilhomme qui heurtait la cornue de verre du spagirique. Le chapeau à plumes de l’un garantissait mieux du vent que le serre-tête de soie de l’autre. Lemoine s’enrhumait. De son nez qu’il oubliait de moucher, un peu de morve avait tombé sur le rabat et sur l’habit. Son noyau visqueux et tiède avait glissé sur le linge de l’un, mais avait adhéré au drap de l’autre et tenait en suspens au-dessus du vide la frange argentée et fluente qui en dégouttait. Le soleil en les traversant confondait la mucosité gluante et la liqueur diluée. On ne distinguait plus qu’une seule masse juteuse, convulsive, transparente et durcie ; et dans l’éphémère éclat dont elle décorait l’habit de Lemoine, elle semblait y avoir immobilisé le prestige d’un diamant momentané, encore chaud, si l’on peut dire, du four dont il était sorti, et dont cette gelée instable, corrosive et vivante qu’elle était pour un instant encore, semblait à la fois, par sa beauté menteuse et fascinatrice, présenter la moquerie et l’emblème.