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BAJAZET.

Ô ciel ! que faites-vous ?

ATALIDE.

Ô ciel ! que faites-vous ? Cruel ! pouvez-vous croire
Que je sois moins que vous jalouse de ma gloire ?
Pensez-vous que cent fois, en vous faisant parler.
Ma rougeur ne fut pas prête à me déceler ?
Mais on me présentait votre perte prochaine.
Pourquoi faut-il, ingrat ! quand la mienne est certaine,
Que vous n’osiez pour moi ce que j’osais pour vous ?
Peut-être il suffira d’un mot un peu plus doux :
Roxane dans son cœur peut-être vous pardonne.
Vous-même, vous voyez le temps qu’elle vous donne.
A-t-elle en vous quittant fait sortir le vizir ?
Des gardes à mes yeux viennent-ils vous saisir ?
Enfin, dans sa fureur implorant mon adresse,
Ses pleurs ne m’ont-ils pas découvert sa tendresse ?
Peut-être elle n’attend qu’un espoir incertain
Qui lui fasse tomber les armes de la main.
Allez, seigneur, sauvez votre vie et la mienne.

BAJAZET.

Eh bien… Mais quels discours faut-il que je lui tienne ?

ATALIDE.

Ah ! daignez sur ce choix ne me point consulter.
L’occasion, le ciel pourra vous les dicter.
Allez : entre elle et vous je ne dois point paraître ;
Votre trouble ou le mien nous ferait reconnaître.
Allez : encore un coup, je n’ose m’y trouver.
Dites… tout ce qu’il faut, seigneur, pour vous sauver.




ACTE TROISIÈME.





Scène première.

ATALIDE, ZAÏRE.
ATALIDE.

Zaïre, il est donc vrai, sa grâce est prononcée ?

ZAÏRE.

Je vous l’ai dit, madame : une esclave empressée,
Qui courait de Roxane accomplir le désir,
Aux portes du sérail a reçu le vizir.
Ils ne m’ont point parlé ; mais mieux qu’aucun langage,
Le transport du vizir marquait sur son visage
Qu’un heureux changement le rappelle au palais,
Et qu’il y vient signer une éternelle paix.
Roxane a pris sans doute une plus douce voie.

ATALIDE.

Ainsi, de toutes parts, les plaisirs et la joie
M’abandonnent, Zaïre, et marchent sur leurs pas.
J’ai fait ce que j’ai dû ; je ne m’en repens pas.

ZAÏRE.

Quoi, madame ! Quelle est cette nouvelle alarme ?

ATALIDE.

Et ne t’a-t-on point dit, Zaïre, par quel charme,
Ou pour mieux dire enfin, par quel engagement
Bajazet a pu faire un si prompt changement ?
Roxane en sa fureur paraissait inflexible ;
A-t-elle dans son cœur quelque gage infaillible ?
Parle. L’épouse-t-il ?

ZAÏRE.

Parle. L’épouse-t-il ? Je n’en ai rien appris.
Mais enfin s’il n’a pu se sauver qu’à ce prix ;
S’il fait ce que vous-même avez su lui prescrire ;
S’il l’épouse, en un mot…

ATALIDE.

S’il l’épouse, en un mot… S’il l’épouse, Zaïre !

ZAÏRE.

Quoi ! vous repentez-vous des généreux discours
Que vous dictait le soin de conserver ses jours ?

ATALIDE.

Non, non : il ne fera que ce qu’il a dû faire.
Sentiments trop jaloux, c’est à vous de vous taire :
Si Bajazet l’épouse, il suit mes volontés ;
Respectez ma vertu qui vous a surmontés ;
À ces nobles conseils ne mêlez point le vôtre ;
Et loin de me le peindre entre les bras d’une autre,
Laissez-moi sans regrets me le représenter
Au trône où mon amour l’a forcé de monter.
Oui, je me reconnais, je suis toujours la même.
Je voulais qu’il m’aimât, chère Zaïre ; il m’aime :
Et du moins cet espoir me console aujourd’hui
Que je vais mourir digne et contente de lui.

ZAÏRE.

Mourir ! Quoi ! vous auriez un dessein si funeste ?

ATALIDE.

J’ai cédé mon amant ; tu t’étonnes du reste !
Peux-tu compter, Zaïre, au nombre des malheurs
Une mort qui prévient et finit tant de pleurs ?
Qu’il vive, c’est assez. Je l’ai voulu sans doute ;
Et je le veux toujours, quelque prix qu’il m’en coûte.
Je n’examine point ma joie ou mon ennui :
J’aime assez mon amant pour renoncer à lui.
Mais, hélas ! il peut bien penser avec justice
Que si j’ai pu lui faire un si grand sacrifice,
Ce cœur, qui de ses jours prend un funeste soin,
L’aime trop pour vouloir en être le témoin.
Allons, je veux savoir…

ZAÏRE.

Allons, je veux savoir… Modérez-vous, de grâce :
On vient vous informer de tout ce qui se passe.
C’est le vizir.