Page:Racine - Théâtre choisi, 1904, éd. Lanson.djvu/34

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Subligny avait fait de nombreuses remarques sur le style d’Andromaque ; Racine prolita de la critique, et corrigea un certain nombre de passages qui avaient été repris. Cela l’instruisit à serrer son style et à ne se rien pardonner.

La Folle querelle est précédée d’une longue Préface où Subligny dément un bruit qui courait, qu’il n’avait fait que prêter son nom à Molière. Il revendiqua la paternité de son œuvre, déclarant au reste avoir imité de son mieux la manière de Molière : il avait raison ; car la Critique de l’École des femmes et l’Impromptu de Versailles sont les modèles du genre auquel appartient la Folle querelle. Puis Subligny continue en ces termes :


Je fus charmé à la première représentation d’Andromaque ; ses beaulez firent sur mon esprit ce qu’elles firent sur l’esprit de tous les autres, et si je l’ose dire, j’adoray le beau génie de son auteur, sans connoistre son visage. Le tour de ^on esprit, la vigueur de ses pensées et la noblesse de ses sentimens m’enlevèrent en beaucoup d’endroits, et tant de belles choses firent que je lui pardonnay volontiers les actions peu vraisemblables ou peu régulières que j’y avois remarquées. Mais lorsque j’appris, par la suite du temps, qu’on vouloit borner sa gloire à avoir fait l’Andromaque, et qu’on disoit qu’il l’avoit écrite avec tant de régularité et de justesse qu’il falloit qu’il travaillast toujours de mesme pour estre le premier homme du monde, il est vray que je ne fus pas de ce sentiment. Je dis qu’on luy faisoit tort, et qu’il seroit capable d’en faire de meilleures. Je ne m’en dédis point ; et quelque chagrin que puissent avoir contre moy les partisans de cette belle pièce, de ce que je leur veux persuader qu’elle les a trompés quand ils l’ont crue si achevée, je soutiens qu’il faut que leur auteur attrape encore le secret de ne les pas tromper pour mériter la louange qu’ils luy ont donnée d’écrire plus parfaitement que les autres. Je ne prétens pas faire croire qu’ils soient moins spirituels pour avoir été éblouis ; au contraire je le prens pour une marque de leur vivacité et d’une délicatesse d’esprit peu commune, qui, sur la moindre idée qu’elle reçoit d’une belle chose, la conçoit d’abord dans sa pureté et dans toute sa force, sans songer si les termes qui l’expriment signifient bien ce que l’auteur a voulu dire. Il faut bien que cela soit, puisque, si l’on se veut donner la peine de lire l’Andromaque avec quelque soin, on trouvera que les plus beaux endroits où l’on s’est écrié et qui ont remply l’imagination de plus belles pensées, sont toutes expressions fausses ou sens tronqués qui signifient tout le contraire ou la moitié de ce que l’auteur a conçu lui-mesme, et que, parce qu’un mot ou deux suffisent à faire souvent deviner ce qu’il veut dire, et que ce qu’il veut dire est beau, l’on y applaudit, sans y penser, tout autant que s’il étoit purement écrit et