Page:Racine - Théâtre choisi, 1904, éd. Lanson.djvu/35

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entièrement exprimé. La France a intérêt de ne point arrester au milieu de sa carrière un homme qui promet visiblement de luy faire beaucoup d’honneur. Elle devroit le laisser arriver à ce point de pureté de langue et (le conduite de théâtre qu’il sçait luy-mesme qu’il n’a pas encore ntt.’int, car, autrement, il se trouveroit qu’au lieu d’avoir déjà surpassé le vieux Corneille, il demeureroit toute sa vie au-dessous.


Là, comme il lui reste des remarques de style dont il n’a pas pu surcharger son troisième acte, il les expose : on trouvera, dans les notes sur Andromaque, l’indication de ces critiques et le succès qu’elles ont eu auprès de Racine. La Préface s’achevait ainsi :


Mais je ne prêtons pas faire voir icy toutes les fautes que j’ay remarquées dans ce chef-d’œuvre du Théâtre : son auteur, qui a plus d’esprit que moy, les découvrira bien luy-mesme s’il les veut reconnoistre, et il s’en servira ensuite comme il luy plaira. Il suffit que j’en ay compté jusqu’à près de trois cens, et que l’on voit bien que je n’ay pas eu dessein de les exagérer, puisque je n’ay pas seulement gardé l’ordre des scènes, ny marqué les endroits où sont celles que je viens de dire. Je me suis contenté d’en rapporter confusément quelques-unes, à mesure qu’elles me sont revenues dans la mémoire, pour prouver un peu ce que j’avois avancé. À cela près, l’auteur d’Andromaque n’en est pas moins en passe d’aller un jour plus loin que tous ceux qui l’ont précédé, et s’il avoit observé dans la conduite de son sujet de certaines bienséances qui n’y sont pas ; s’il n’avoit pas fait toutes les fautes qui y sont contre le bon sens, je l’aurois déjà égalé sans marchander à notre grand Corneille. Mais il faut avouer que si monsieur Corneille avoit eu à traiter un sujet qui étoit de luy-mesme si heureux, il n’auroit pas fait venir Oreste en Épire comme un simple ambassadeur ; mais comme un roy qui eust soutenu sa dignité. Il auroit fait traiter Pylade en roy à la cour de Pyrrhus, comme Pollux est traité à la cour de Créon, dans la Médée ; ou s’il eust manqué de le traiter en roy, il n’eust pas cherché à s’en excuser, en disant qu’il ne l’est que dans un Dictionnaire historique, et qu’il ne l’est pas dans Euripide mesme. Il auroit introduit Oreste le traitant d’égal, sans nous vouloir faire accroire qu’autrefois le plus grand prince tutoyait le plus petit, parce que cela n’a pu estre entre gens qui portoient la qualité de rois, et que quand cela auroit été, ce n’est pas les cérémonies des anciens qu’il faut retenir dans la Tragédie, mais leur génie et leurs sentimens, dans lesquels monsieur Corneille a si bien entré qu’il en a mérité une louange immortelle ; et qu’au contraire ce sont ces cérémonies-là qu’il faut accommoder à notre temps Iiour ne pas tomber dans le ridicule. Monsieur Corneille, dis-je, auroit