Page:Racine - Théâtre choisi, 1904, éd. Lanson.djvu/77

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Voulez-vous demeurer pour otage en ces lieux ?
Venez dans tous les cœurs faire parler vos yeux[1].
Faisons de notre haine une commune attaque.

HERMIONE.

Mais, Seigneur, cependant s’il épouse Andromaque ?

ORESTE.

Hé ! Madame.

HERMIONE.

Hé ! Madame. Songez quelle honte pour nous
Si d’une Phrygienne il devenoit l’époux !

ORESTE.

Et vous le haïssez ? Avouez-le, Madame,
L’amour n’est pas un feu qu’on renferme en une âme :
Tout nous trahit, la voix, le silence, les yeux ;
Et les feux mal couverts n’en éclatent que mieux.

HERMIONE.

Seigneur, je le vois bien, votre âme prévenue
Répand sur mes discours le venin qui la tue,
Toujours dans mes raisons cherche quelque détour,
Et croit qu’en moi la haine est un effort d’amour.
Il faut donc m’expliquer : vous agirez ensuite.
Vous savez qu’en ces lieux mon devoir m’a conduite ;
Mon devoir m’y retient, et je n’en puis partir
Que mon père ou Pyrrhus ne m’en fasse sortir.
De la part de mon père allez lui faire entendre
Que l’ennemi des Grecs ne peut être son gendre :
Du Troyen ou de moi[2] faites-le décider ;

  1. Voilà un vers que Subligny aurait pu critiquer. Mais il était d’un tour trop précieux pour être repris.
  2. Du Troyen ou de moi : entre le Troyen et moi. Mais la phrase s’explique par une forte ellipse, ou encore par une anacoluthe. La con-