Page:Racine - Théâtre choisi, 1904, éd. Lanson.djvu/86

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Tout dépend de Pyrrhus, et surtout Hermione.
À ses regards surtout cachez votre courroux.
Ô Dieux ! en cet état pourquoi la cherchiez-vous ?

ORESTE.

Que sais-je ? De moi-même étois-je alors le maître ?
La fureur m’emportoit, et je venois peut-être
Menacer à la fois l’ingrate et son amant.

PYLADE.

Et quel étoit le fruit de cet emportement ?

ORESTE.

Et quelle âme, dis-moi, ne sêroit éperdue
Du coup dont ma raison vient d’être confondue ?
Il épouse, dit-il, Hermione demain ;
Il veut, pour m’honorer, la tenir de ma main.
Ah ! plutôt cette main dans le sang du barbare…

PYLADE.

Vous l’accusez, Seigneur, de ce destin bizarre[1].
Cependant, tourmenté de ses propres desseins,
Il est peut-être à plaindre autant que je vous plains.

ORESTE.

Non, non ; je le connois, mon désespoir le flatte ;
Sans moi, sans mon amour, il dédaignoit l’ingrate ;
Ses charmes jusque-là n’avoient pu le toucher :
Le cruel ne la prend que pour me l’arracher.
Ah Dieux ! c’en étoit fait : Hermione gagnée
Pour jamais de sa vue alloit être éloignée.
Son cœur, entre l’amour et le dépit confus[2],
Pour se donner à moi n’attendoit qu’un refus ;

  1. Bizarre paraîtrait faible aujourd’hui. Le mot était encore récent dans la langue : il était venu de l’espagnol au siècle précédent.
  2. Confus : embarrassé, qui ne démêle pas clairement ses sentiments.