Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/761

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tien d’esprit, comment expliquerait-on qu’il lui eût fallu dix-neuf siècles pour éclore de cette religion qui le portait en germe, et que précisément alors il eût apparu chez des hommes dont aucun n’acceptait les dogmes du christianisme, dont aucun ne pratiquait ses observances et qui tous ou presque tous vivaient notoirement dans la violation de sa morale domestique et conjugale ?

On se refuse trop à voir ce qui est le fond essentiel du Christianisme et ce qui lui donne son nom, c’est-à-dire son caractère de religion révélée, avec la foi au Christ et le dogme de la Rédemption[1] ; on affecte d’ignorer qu’à ses yeux les dons les plus généreux et les plus sublimes sacrifices à l’amour de l’humanité n’ont aucune valeur pour la fin chrétienne de l’homme, si ce n’est pas l’amour de Dieu qui les inspire pour les sanctifier et les surnaturaliser[2].

Par ailleurs aussi, on altère radicalement la notion chrétienne de la morale en dépouillant cette morale, non seulement de son principe, mais encore de sa forme rigoureusement personnelle et de ses sanctions non moins personnelles dans l’éternel au-delà de la vie. Bien plus, si la morale socialiste avait des devoirs proprement dits, non contente de les avoir autres dans leur fondement et leurs principes, elle les aurait autres aussi dans leurs objets. Ainsi les notions de droit, d’égalité et de jouissance y remplacent celles de devoir, de hiérarchie et d’abnégation ; les dévouements sans gloire et sans profit n’y apparaissent point ; dans l’assistance des pauvres et dans le soin des malades, le socialisme n’obtient point de services qu’il ne soit obligé de salarier. On y fait sans doute de l’altruisme dans les mots et les institutions : mais ce n’est jamais que

  1. Saint Jean : « Hic est antichristus, qui negat Patrem et Filium… Omnis spiritus qui confitetur Jesum Christum in carne venisse, ex Deo est ; et omnis spiritus qui solvit Jesum, ex Deo non est, et hic est antichristus » (Epist. I, ii, 22, et iv, 2-3).
  2. Saint Paul : « Si distribuero in cibos pauperum omnes facultates meas, et si tradidero corpus meum ita ut ardeam, charitatem autem non habuero, nihil mihi prodest » (I ad Corinthios, xiii, 3).