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JOURNAL D’UNE DAME CRÉOLE


revint sans cesse à l’esprit, la douce image d’Antoinette, chassa toutes les autres. Je ne songeai plus qu’au danger qu’elle pouvait courir, entre cette Zinga jalouse et ce Dubousquens amoureux, car, j’en étais sûre, les reproches que cette fille avait adressés à son amant étaient fondés. Si je l’avais surpris dans la chambre d’Antoinette, c’est qu’il voulait voir mon enfant bien aimée, lui parler, lui crier sa détestable passion, qui sait ? peut-être la déshonorer.

Zinga n’était pour lui qu’un passe-temps, une de ces luxures sans âme où les hommes n’apportent que leur perversité, mais il aimait ou du moins désirait Antoinette, tout me le laissait croire, jusqu’à cette répulsion secrète que j’éprouvais pour lui sans rien connaître de son existence, et qui me faisait redouter de sa part de grands maux : les pressentiments ne m’ont jamais trompée.

Je revins en toute hâte aux Ingas. Dès mon arrivée l’attitude accablée, l’air de consternation que je remarque chez tous les esclaves m’avertissent d’un malheur. La bouche sèche, la voix rauque, je demande à chacun : « Antoinette ! où est Antoinette ? » N’obtenant pas de réponse, je vole à la chambre de mon enfant, je la trouve enfin, mais dans quel état, grand Dieu ! La robe en lambeaux, les cheveux épars, la tête rejetée en arrière, elle paraît morte. Hors de moi, je prends par le bras la grosse Marion qui regarde devant elle et bouche bée ; je secoue Catherine Fuseau qui pleure, la tête dans les mains. Je menace, je prie, j’injurie, je veux des explications : « Qu’est-il arri-