Page:Rebell - Les nuits chaudes du cap français, 1900.djvu/79

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
77
JOURNAL D’UNE DAME CRÉOLE

Nous avions les nerfs un peu irrités par l’approche de l’orage et l’odeur entêtante qui montait du jardin ; Mme de Létang caressait les cheveux de sa fille qui, serrée contre Antoinette, se livrait à des jeux de mains si inconvenants que je me disposais à intervenir et à rappeler une mère à cette vigilance qui est le premier de ses devoirs. Soudain, derrière l’habitation, un cri s’éleva, perçant, exhalant quelque extrême douleur, et nous fit tous tressaillir.

Ce cri, suivi de beaucoup d’autres, nous annonçait qu’on châtiait quelque jeune esclave. La voix qui le poussait et qui était évidemment une voix de petite fille, lançait une sorte de bêlement si bizarre qu’Agathe de Létang, qui n’a pas l’âme bien pitoyable, surprise et amusée, éclata de rire. Pour une fois et sans raison, ainsi qu’il arrive toujours, Mme de Létang, abandonnant tout à coup cette indulgence maternelle, dangereuse d’ordinaire, mais ici bien excusable, souffleta par deux fois Agathe, et comme la pauvre enfant, les yeux en larmes et rouge de honte, se levait pour quitter le salon et pleurer à son aise :

— Prenez exemple sur votre jeune amie, lui dit sa mère, je suis sûre qu’elle a horreur de votre cruauté.

— Oh ! répliqua Antoinette, j’admets qu’on frappe les vieux esclaves, mais cela me révolte qu’on maltraite les tout petits.

— Je croyais, ma chère amie, me dit Mme Du Plantier, que, chez vous, on ne châtiait plus les esclaves ?

— Ma toute belle, fis-je à cette remarque obligean-