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— Dites ! reprit-elle.

— Vous êtes lasse, mon pauvre amour, murmurai-je tendrement. Et pourtant je vais vous imposer un surcroît de fatigue… Il faut, jusqu’au bout, que nous montions la garde tour à tour, vous et moi… Il faut que l’un de nous soit là, près de lui, constamment. Jusqu’au bout, Fanny ! Jusqu’au cercueil et jusqu’au cimetière.

— Mais… Après ?… Ne craignez-vous pas que, par une nuit noire, quelqu’un…

Je lui exposai le plan que j’avais conçu. Après quoi, je la laissai dans la place comme un autre moi-même pieux et vigilant.



XI. —

L’EXPLOIT



J’employai toute la journée à donner des ordres au maçon et au serrurier, avec l’assentiment de Mme Lebris. Elle ne s’opposait nullement à ce que la tombe de son fils fût, dans sa partie souterraine, une espèce de blockhaus inattaquable. Les ouvriers me promirent de faire diligence ; au vrai, les travaux étaient déjà commencés lorsque vint la nuit.

C’était l’heure où je devais relever Fanny de sa funèbre faction. Je la trouvai surmenée, dormant debout. Je la reconduisis de la chambre mortuaire jusque sur le palier, où nous pûmes causer librement. Elle m’apprit que rien d’anormal n’était survenu ; quelques familiers avaient défilé devant la dépouille mortelle ; aucun suspect n’avait trahi sa présence aux alentours.

Puis, comme je la regardais dans la pénombre :

— Je ne vous ai pas vu de toute la journée ! se plaignit-elle.

La chère âme se blottissait contre moi. Elle se serait endormie sur ma poitrine, si je n’avais prononcé :

— Allez, mon amie, allez vous reposer, pour l’amour de moi !

Ses lèvres brûlaient. On aurait dit qu’elle ne pouvait plus me quitter.

— Fanny, lui dis-je, ému partant de ferveur, comme nous allons être heureux !

À bout de résistance, elle fondit en larmes, me tint passionnément embrassé, et s’enfuit en étouffant ses sanglots.

— Je t’aime ! lançai-je à voix retenue.

Elle fit un signe, au haut de l’escalier. Je le vis à peine. L’ombre s’emparait d’elle.

Tout rêveur et la bénissant, je m’acheminai vers la chambre coite et calfeutrée où s’allongeait, parmi les fleurs d’arrière-saison, la pâle figure inanimée.

La servante veillait. Elle renouvela les bougies, ramassa des pétales effeuillés et me demanda « si je resterais tard auprès de monsieur Jean ».

— Toute la nuit, répondis-je. Vous pouvez aller vous coucher, ma bonne Césarine.

Elle s’en fut. Je m’installai dans un fauteuil et j’ouvris une Bible qui se trouvait là. Mais bientôt, recru de fatigue moi aussi, rompu d’insomnie, accablé sous le poids d’une déception que l’amour de Fanny ne pouvait qu’atténuer sans la faire disparaître, je dus me lever et marcher, pour vaincre l’assoupissement.

Ma pensée faisait, sous mon crâne, un brouillard tumultueux. Je ne sais comment, tout à coup, avec la brutalité d’une lumière aveuglante et brusque, s’instaura dans ma tête l’idée, qu’il fallait à tout prix subtiliser les électroscopes.