Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/296

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Elle consulta du regard Roumee, qui, debout contre la porte, était le spectateur muet de cette scène étrange.

— Parlez et payez, répondit le cipaye, dont elle s’était rapproché.

— Écoute, Sania, dit-elle alors au gardien du cimetière en s’avançant vers lui, je ne sais ce que tu crains, et je vais te confier mon projet, Brahma ne pourra que te récompenser de m’aider à l’accomplir. Je veux sauver des tortures du fleuve de feu un homme qui vient de mourir. Il était de ta race et de ta religion, et malgré ses prières, il sera enterré sans qu’aucun des rites accoutumés soit suivi. Je lui ai juré d’arracher son corps à la tombe, afin que les brahmines puissent le purifier et que Yama le reçoive sans colère. Cet homme n’avait plus ni famille, ni amis, ni serviteurs, pour lui rendre les derniers devoirs ; je veux être tout cela pour lui jusqu’à ce que ses cendres aient été jetées au vent. Refuses-tu encore ?

— Non, miss, répondit le vieillard, séduit par la physionomie inspirée de la jeune fille et rassuré du point de vue religieux ; commandez, j’obéirai. Mais vous ne m’avez pas dit le nom de cet homme.

— Que t’importe ! Ceux qui le transporteront ici ne te le nommerons pas ; c’est dans la fosse commune sans doute qu’ils laisseront glisser son cercueil.

— Quand viendront-ils ?

— La nuit prochaine, la suivante peut-être seulement. Tu seras prévenu. Aussitôt leur départ, je frapperai à ta porte ; tu m’ouvriras, à moi et à ceux qui m’accompagneront, celle du cimetière, et tout sera dit. Jusque-là, pas un mot !

— Je vous le promet, miss.

— En sortant du cimetière, le cipaye te remettra le double de cette somme. Si par hasard tu ne revoyais ni lui ni moi, c’est que le mort aurait été conduit ailleurs. Le contenu de cette bourse ne t’en appartiendras pas moins. Souviens-toi. Au revoir ou adieu !

Elle avait hâte, après ces paroles de mort, de retrouver dehors l’agitation et la vie.

Le vieillard avait ouvert sa porte.

— Adieu, miss, dit-il en s’inclinant devant elle, et que Vischnou vous protège !

Un instant après, miss Ada et Roumee étaient en selle et volaient à nouveau sur la route de la ville.

Une demi-heure plus tard, la jeune fille arrêtait son cheval à la petite porte de son jardin.

— Tu n’oublieras rien, n’est-ce pas, Roumee ? lui dit-elle en mettant pied à terre.

— Rien, miss, comptez sur moi, répondit le cipaye.