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LA DERNIÈRE AVENTURE

la grille sans bruit ; elle regarda Valfleuri et lui dit devant vous : « L’avocat la fermait sans qu’on l’entendit. » Elle donnait à entendre par là qu’il venait auprès de moi la nuit. Mais il n’en est rien, je vous assure.

« Quand je fus presque tout à fait grande, elle me mit deux ou trois mois au couvent. Mais elle avait ses vues, c’était pour tirer meilleur parti d’une fille qui sortirait du couvent. Aussi, mon cher papa, voici ce qui arriva lorsque j’en fus sortie.

« Un dimanche, elle m’habilla superbement et me mena au Palais-Royal. Nous nous assîmes dans la grande allée. Nous y étions depuis un quart d’heure environ, lorsqu’un homme d’un certain âge, mis en robin, nous aborda d’un air aisé. Il salua ma mère et se mit à causer avec elle. J’avais l’air de fort mauvaise humeur, craignant que ce ne fût une rencontre. Aussi, lorsqu’il m’adressa la parole, je ne lui répondis que par monosyllabes. Malgré ce mauvais accueil de ma part, il continua et proposa un diner à ma mère. Je remerciai pour elle en disant que nous avions dîné. Mais elle n’en accepta pas moins. Elle se leva, et moi, peu accoutumée à lui résister, je fus obligée de la suivre. Nous descendîmes à une belle maison, et nous trouvâmes le couvert mis dans un salon superbe. Mais comme je témoignai que je n’avais pas appétit, ayant mangé avant de sortir de chez nous, on me fit passer dans une espèce de cabinet, où ma mère me laissa seule avec le monsieur… Je me dispenserai de vous dire le reste. Je m’évanouis… On fut obligé d’appeler ma mère à mon secours…

« On dîna enfin, et au milieu du repas, le souvenir de ce qui s’était passé me fit encore trouver mal. On me délaça et on me mit au grand air sur un balcon qui donnait sur le jardin. L’homme me témoigna le plus vif intérêt…

« En revenant, ma mère me parla des grandes espérances qu’elle concevait. Mais je lui déclarai que je ne voulais pas être entretenue, et que je préférais de travailler. Elle me répondit froidement que j’en étais la maîtresse.