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LA DERNIÈRE AVENTURE

son joli visage. « Me voici ; papa !… Le pauvre petit papa ! je l’ai fait bien attendre, mais ce n’est pas la faute de sa fille. Elle a une mère et cette mère est bien capricieuse ! Il faut bien prendre garde de ne pas la blesser, de ne pas la faire se cabrer. Si un Je ne veux pas que vous montiez là-haut, était une fois sorti de sa bouche, il n’y aurait plus de remède et sa fille en serait au désespoir. Quand on risque tout, il n’est pas permis de hasarder. — Je te vois, charmante, raisonnable fille, et je suis trop heureux ! Dès le premier instant de ta venue, toutes les peines de l’absence sont suspendues jusqu’à celui de ton départ… Viens ici, ma belle Sara, viens sur mes genoux ! » Elle y vint avec cet aimable abandon, faible langage ! que tu ne le rendras jamais. Après les premières caresses de l’amitié, qui me furent rendues, je devins entreprenant, mais j’observai avec une attention scrupuleuse la conduite de Sara. Elle résista et, fidèle à mes principes, je m’arrêtai ; ne pouvant être heureux, je fus tendre, et jamais je ne lui avais si vivement exprimé les sentiments qu’elle m’inspirait. Sara était dans mes bras et sur mes genoux, un de ses bras passé autour sur mon cou m’étreignait doucement, son sein vivement agité pressait mon cœur, les yeux fixés sur les miens paraissaient exprimer la plus vive tendresse. Je sentis au fond de mon âme la conviction d’être aimé ; elle se dilatait, je m’agrandissais, je n’étais plus un mortel, j’étais un dieu ; je sentais une existence délicieuse, noble (le bonheur élève l’âme !), le reste du genre humain ne m’inspirait plus que le tendre intérêt de la bienveillance. Quelle situation ! et que faut-il autrement pour être un dieu !… Après une silencieuse jouissance de Sara et de moi-même, ma langue se délia pour se prêter à la plénitude de mon cœur. « Ma fille, dis-je d’une voix syncopée, ma déesse, mon ange, divine source de ma félicité ! quel charme tu répands sur ton ami, ton tendre ami !… Ah ! ma Sara, la plus chère moitié de moi-même ; je ne respire plus que pour toi, je t’abandonne mon existence, elle ne peut qu’être heureuse par toi !… Que de ce moment tout nous soit commun, peines, fortune, plaisirs, tout, ma Sara. Tu es ici chez ton père.