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D’UN HOMME DE QUARANTE-CINQ ANS

Dispose en maîtresse, en fille bien-aimée… C’en est fait, je suis à toi. — Je suis à toi, répéta-t-elle avec un baiser. — Tu es à moi ! — J’y suis, j’y suis, j’y suis ; je veux y être toujours. — Tu embelliras le soir de ma vie. — Il n’est pas si tard ! — Non, tu me rajeunis ; il me semble que je suis à ton âge. — Puissé-je prendre de tes années, aimable papa !… Donne-m’en, donnem’en ! … Laisse-moi croire que je t’en ai pris !… Oui, ze t’en ai pris, z’ai trente ans ; dis-moi que je parais trente ans, ze le veux… — Reste jeune, mon adorable amie ; la jeunesse te va si bien ! Elle est si raisonnable en toi !… »

En ce moment, une voix nous appela. C’était celle de Valfleuri. « C’est le jaloux ! me dit Sara ; il ne prétend rien à moi, et il l’est de tout ce qui m’approche. Je ne te quitte pas, nous dinons ensemble, mais je descends. »

La mère, Valfleuri et Sara devaient tous trois sortir pour affaires dans l’après-diner. Ce fut ce qu’on nous dit à table. Un tendre regard exprima la douleur que ma jeune amie en ressentait ; son pied mignon pressa le mien. Tout est organe du sentiment quand on aime, et celui-là n’est pas le moins expressif. Je me mis au travail dès que Sara fut partie, afin d’avoir plus de temps à lui donner, lorsqu’elle reviendrait.

À huit heures elle se fit entendre. Avec quel plaisir je la reçus !… Elle entra chez moi un papier à la main, « Nous avons été voir un des compatriotes de M. du Châtaigner, me dit-elle, pour l’engager à écrire à son ami qu’il fasse payer maman. Dans un instant où il a pu me parler sans être vu, il m’a remis une lettre que je viens lire ici. Je compte vous la laisser pour la renvoyer avec la réponse que je vais y faire. En même temps, elle me donna la lettre… « Lisez-la d’abord, ma chère fille, lui dis-je, après cela vous verrez si je dois la lire aussi. » Elle lut, ensuite elle me la présenta ouverte. Cette lettre était singulière, et j’avouerai que le style m’en surprit !