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LA DERNIÈRE AVENTURE

solides ! Je ne changerai jamais, tu seras mon ami, mon mari, mon père ; je serai ton amie, ta femme, ta fille à jamais, car je veux réunir tous ces titres à ton égard. Je n’ai jamais connu personne qui te valût ; tu es mon choix à moi seule, et jamais je n’en ferai d’autre. »

À quoi servirait-il de rapporter ici nos tendres caresses, les baisers pris et rendus ? Nos bouches, ces organes de la tendresse et de la volupté, disaient, exprimaient et prouvaient ensuite par de charmantes unions, les sentiments qui nous animaient. Ce fut après ces moments heureux et dans l’ivresse qu’ils nous inspiraient que nous descendîmes pour souper. Quel agréable repas ! Sara la tendre et sensible Sara mangeait seule avec moi ; elle posa sur le mien son pied délicat, devenu à son tour l’organe d’un sentiment plus contraint ; il exprimait tout ce qu’elle voulait me faire entendre, et ses beaux yeux le confirmaient[1].

Sara est très jolie, voici un trait que j’ai oublié de dire. À chaque fois qu’elle venait chez moi, je la reconduisais et la voyais descendre un étage ; lorsqu’elle était au tournant, elle s’arrêtait pour me regarder et m’envoyer le baiser napolitain. Dans ce moment où elle sortait de mes bras, où son teint, naturellement brillant, était encore plus animé, elle avait un éclat éblouissant, elle n’avait pas l’air d’une simple mortelle, c’était une déesse. Jamais l’imagination même ne peut créer le charme qu’avait en cet instant la réalité ; c’était la plus belle rose ! Avec cela un air si tendre, si passionné !… Ah Dieu ! comment, comment ! avec l’âme ardente que la nature m’a donnée, aurais-je pu résister !…

Sara devait rester absolument à la maison à dater de ce jourlà ; ainsi le lendemain elle n’alla chez ses maitresses que pour leur dire adieu. Sa mère désirait depuis longtemps de la revoir chez elle, mais Sara qui avait pris de l’amitié pour ses maîtresses, plaidait chaque semaine pour y retourner. Mlle Lee m’eut obli-

  1. Il ne faut pas oublier, qu’en écrivant ceci, M. d’Aigremont se croyait aimé de Sara : il faut savoir aussi qu’elle le trompait.
    (R.)