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D’UN HOMME DE QUANRANTE-CINQ ANS

gation de la facilité avec laquelle sa fille consentit enfin à se fixer avec elle. De mon côté, j’en fus transporté de joie et j’envisageai pour l’avenir tous mes jours comme heureux.

Les commencements du séjour de Sara me confirmèrent dans cette idée. Elle venait me voir deux fois par jour ; nous avions des entretiens charmants. Le 2 février, qui se trouvait dans cette première semaine, fut un des plus beaux jours de ma vie, mais le 4 le surpassa. Ces deux jours-là, Sara parut à mon égard, la plus tendre des filles et la plus complaisante des maîtresses ; sa confiance fut sans bornes, elle ne réserva rien, elle m’ouvrit entièrement son cœur et me donna toute sa personne ; elle s’étendit sur la haine qu’elle avait pour sa mère, et cette haine allait jusqu’à l’horreur ; mais elle la motiva d’une manière qui faisait honneur à sa vertu.

« Puisqu’il faut que je sois une malheureuse, me disait-elle, je veux choisir comme je dois tomber, que ce soit au moins dans les bras d’un homme estimable et sûr qui ne m’abandonne jamais, qui me serve de père et avec qui ma faiblesse soit un lien de plus qui l’attache à moi. » Je n’aurais pas cru cette fille capable d’un pareil raisonnement ; il m’enchanta, tout vicieux qu’il fut, parce que je m’en trouvais l’objet. « Dans ma triste position, livrée par une mère barbare, je n’ai pas été aussi malheureuse que naturellement j’aurais dû l’être ; M. de *** (l’homme du Palais-Royal) m’a traitée plutôt en fille protégée qu’en maitresse. Une fois qu’il eût connu la différence de mes sentiments d’avec ceux de ma mère, il en usa de la manière la plus honnête et la plus généreuse. — Je croirais commettre un sacrilège, me disait-il, de vous traiter comme une autre fille ; soit par principes acquis, soit par caractère, vous êtes la vertu même. Restez vertueuse, ma chère Betty (il m’appelait de la sorte en anglisant un de mes noms) ; quoique je vous trouve charmante, je ne prétends pas y nuire. Dans le monde, je passe pour un homme sans mœurs ; j’espère vous prouver que cette réputation n’est pas méritée. Cependant, il faut que je vous entretienne, à cause de votre mère, qui chercherait à vous donner à d’autres. Mais vous ne devez pas vous effrayer de