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LA DERNIÈRE AVENTURE

l’amour. « Je ne la verrai plus… pensais-je, il le faut, je le ferai. » Une demi-journée s’était à peine écoulée, que le besoin du sentiment délicieux dont j’avais pris l’habitude se faisait sentir encore. Je regardai autour de moi ; si j’avais trouvé une jeune personne aimable, aussi jolie que Sara, plus honnête, je me jetais dans ses bras, mais tout me manquait, jusqu’à cette Manon de chez mon graveur dont j’ai dit un mot : elle me reçut mal ; jusqu’aux maîtresses de Sara dont je vais parler dans un instant. Après que ma pensée s’était promenée sur mes connaissances, que j’avais inutilement cherché, elle se repliait ; Sara s’offrait à mon imagination, charmante, naïve, je la désirais avec transport. « Rien ne l’égale !… » m’écriais-je… Je la revoyais et ne la trouvais plus !… J’étais au désespoir.

Voilà comme mon cœur était agité, dans un temps où j’avais la plus violente passion pour une fille qui en aimait un autre !… Un jeune homme a mille moyens de consolation ; je n’en avais aucun ; le jeune homme peut changer, il peut trouver une femme qui l’aime et le dédommage : un quarante-cinquenaire ne trouve que des mépris… C’est pour vous seuls que j’écris, ô mes pareils en âge et en passions vives ! C’est brûlé du désir de vous être utile par ma fatale expérience que je vous fais ces récits, que je vous dévoile ma faiblesse, ma honte, ma turpitude, due j’en meure de confusion, mais que je vous aie instruits !…

Sara, tout occupée de Lamontette, ne s’embarrassait guère de mes peines, qu’elle voyait et qui ne lui donnaient que du dégoût.

Elle partit le matin du mercredi pour aller chez mon rival et revenir le lendemain soir. Je fus assez tranquille le premier jour ; le second, je m’efforçai de l’être : « Hé quoi ! me disai-je, n’est-ce pas un avantage que son absence ? Sa présence n’est-elle pas un esclavage ? Quel supplice pour un homme de quarante-cinq ans que le rôle du complaisant d’une volage ! Il est clair que, dans le fond de son cœur, elle croit encore me faire trop de grâce que de souffrir mes soins, mon dévouement. Ne faut-il pas être feu, à mon âge, avec ma barbe déjà grise, pour aimer une enfant