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D’UN HOMME DE QUANRANTE-CINQ ANS

et faire dépendre mon repos, ma félicité d’une tête qui ne sait pas encore réfléchir, qui n’a d’autre règle que son caprice ? Insensé ! Vois donc ta folie ! Désire que Sara te laisse encore tranquille demain, après-demain, toute ta vie !… » Beaux raisonnements qui ne produisaient rien ! À neuf heures et demie, le bruit de tous les carrosses me remuait les entrailles ; je volais à la croisée et je m’en revenais triste, lorsque la voiture passée, m’avait ôté l’espoir que c’était celle qui ramenait Sara.

Enfin elle arriva, et, plus tendre, plus faible que jamais, mon cœur vola au-devant de celle qui me donnait la mort ! Je tremblai au-dedans de moi-même, car je prévoyais que Sara allait être sérieuse et triste, comme lorsqu’on a quitté ce qu’on aime. « Quel rôle je vais faire auprès d’elle ! Celui d’un barbon dédaigné qu’une jeune fille enchaine et tourmente ! Ha ! je n’ai pas trouvé ce que je désirais ! une amie tendre, sensible autant qu’honnête, qui aurait fait la douceur du reste de mes jours ! C’était ce que Sara m’avait offert ; elle m’avait montré l’âme sensible, exempte de coquetterie qu’il fallait à mon âge ; j’ai entrevu le séjour du bonheur, mais je n’y suis pas entré !… Infortuné ! le sort me précipite comme un autre Œdipe, dans les malheurs que voit ma raison et qu’elle ne saurait lui faitre éviter !… » Je faisais ces réflexions en attendant que mon rival s’en retournât : elles étaient si fortes, que je m’oubliai quelque temps après son départ sans pouvoir descendre. Enfin j’allai saluer Sara et sa mère.

Je trouvai la fille telle que je m’y étais attendu ; pour la mère, elle paraissait me voir avec plaisir. Dans un entretien particulier que nous eûmes ensemble elle affecta de me parler avec franchise ; je dis qu’elle affecta ; c’est que Sara m’a depuis assuré que sa prétendue franchise n’avait d’autre but que de me pénétrer et de voir jusqu’où ses intérêts demandaient qu’elle me favorisât. Mais je reviens à ce qu’elle me dit. Elle me répéta tous les discours de mon rival, elle me parla ensuite de sa fille, mais je ne sais quel était son but, puisque ce qu’elle m’en apprit ne pouvait que m’en détacher. Elle m’assura qu’elle lui avait dit, à l’occasion du nom de Fifille, que lui donnait mon rival, qu’il ne fallait