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LA DERNIÈRE AVENTURE

tous les contraires, le froid et le chaud, la folie et la prudence, le dévergondage et la pudeur. Vous lui débitiez des obscénités qu’elle n’a pu souffrir et cela vous a fâché ; si elle les avait souffertes, vous l’auriez méprisée comme une catin : vous auriez désiré sans doute en elle une femme économe, aimant la parcimonie, connaissant le prix de l’argent ; et vous auriez voulu que votre maîtresse, éprise pour vous d’une passion folle, n’eût songé qu’aux agréments que vous eûtes jadis, mais qu’elle n’a jamais vus. Qu’auriez-vous pensé d’Elise, si elle vous avait aimé tel que vous vous êtes présenté ! Qu’elle pensait, comme la Chercheuse d’esprit[1] de notre bon ami Favart. Qu’il faut aimer tout le monde. Car, en vérité, pour vous aimer tel que vous vous êtes montré, il faudrait avoir un cœur ouvert au premier venu. Vous auriez été fort mécontent, si l’on vous avait accueilli comme vous paraissiez le désirer ; si l’on vous avait accordé tout ce que vous avez demandé ; et certainement je vous aurais regardé comme un fou, si vous aviez aimé la fille que vous avez paru chercher dans Mlle Elise. D’après votre manière d’agir en cette occasion, voici le conseil que j’ai à vous donner : fuyez toutes les femmes ; il n’en est plus aucune qui puisse vous rendre heureux. Si par malheur vous en trouviez jamais une comme vous paraissiez la chercher, ce serait une prostituée, ou tout au moins une friponne, qui chercherait à vous duper. Vous avez été malheureux et trompé jusqu’à présent ; la première fois que vous me le dîtes, je vous plaignis ; aujourd’hui j’applaudis à celles que je méprisais ; j’ai d’elles une idée presque avantageuse ; elles avaient un reste de vertu et de pudeur, puisqu’elles n’ont pu vous souffrir. Voilà de dures vérités ! mais elles sont conformes aux sentiments que vous m’avez donnés de vous depuis deux mois. Où avez-vous pris une façon de penser comme la vôtre, qui vous porte à dégrader tout ce que vous voulez vous apparier par l’amour ou par l’amitié ? Mon cher de Blémont ! j’ai eu les passions vives ; j’ai donné dans quelques écarts et j’en étais véritablement humilié ; mais, depuis que vous m’avez dessillé les yeux, mes remords sont étouffés ; j’ai agi comme un prédestiné, comparé à vous et à vos pareils. Lorsqu’il m’est arrivé, dans la fougue d’une jeunesse emportée, abreuvée de misère et de douleur, au sein de la plus accablante pauvreté, de chercher des plaisirs faciles, jamais je ne suis descendu au niveau de celle dont je voulais les obtenir : je l’élevais auparavant jusqu’à moi ; si elle n’en était pas susceptible, je me retirais : mais, lorsque j’avais trouvé ce que je cherchais, mes égards, quelques leçons, de sages avis faisaient au moins disparaître le masque affreux de la débauche ; je

  1. La Chercheuse d’esprit, opéra-comique en un acte, fut jouée pour la première fois à la Foire Saint-Germain le 20 février 1741.