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LES DEUX CINQUANTENAIRES

mettais à découvert au moins le visage de la simple nature, ne pouvant aller jusqu’à faire prendre la livrée de la vertu. Je n’ai jamais été crapuleux, même au centre de la crapule : et vous, mon cher de Blémont, vous avez paru ne pouvoir supporter l’idée de vous lier avec une femme honnête ! Dès le premier mot que vous lui avez dit, vous avez jeté sur son âme pure, le souffle ternissant de la corruption. J’enviais votre sort autrefois ; il me paraissait heureux ; je ne vous envie plus rien ; vos mets sont souillés par les harpies ; toutes vos jouissances sont empoisonnées ; vous êtes le plus malheureux des hommes. J’ai mille fois trouvé le bonheur et la volupté, où ils ne devaient pas être ; je savais les y faire germer : vous les chassez, vous, de l’endroit où ils vous attendent et vous vous plaignez ensuite ne pas les avoir rencontrés ! Le vice et la corruption vous précèdent comme une armée de sauterelles, qui ne laissent ni fleurs, ni fruits, ni verdure ; vous les suivez, malheureux de Blémont, dans un désert dévasté, naguère un pays fertile.

Voilà mes vrais sentiments : mais comme il ne suffit pas de vous faire des reproches et qu’il faut au moins récompenser la peine que vous prenez de me lire ; en vous suggérant quelques vues utiles, permettez à un homme fort au-dessous de vous pour les lumières, la connaissance du monde et des hommes en général, de vous donner cependant quelques instructions sur la manière dont un cinquantenaire, qui sent encore le besoin d’aimer, doit s’y prendre, pour gagner un cœur.

Certainement ni vous, ni moi, nous ne plairons à personne du beau sexe, par les agréments extérieurs ; le prétendre encore, serait une folie. Il faut avoir recours à d’autres moyens et ce sage moyen que vous paraissez ignorer, Molière l’a dit, dans son Ecole des Maris ; il est des vieillards aimables, qui peuvent attacher une jeune femme, surtout dans notre climat, fort différent de celui d’Italie ! Je ne parlerai pas de ceux indiqués par le poète-philosophe ; le but qu’avait Molière et tous les écrivains amusants du siècle de Louis XIV, était d’amener en France cette facilité de mœurs, qui n’y a fait que trop de progrès et qu’il serait utile d’arrêter aujourd’hui. Molière, lui-même, s’il vivait de nos jours, s’élèverait contre ce qu’il a prêché, pour rendre la France agréable aux étrangers, complaire à un roi galant, pour en faire en un mot, un séjour enchanté, un paradis terrestre, où les hommes des autres nations trouvassent tout ce qui n’existait pas chez eux. Car tel était le but des grands écrivains du siècle dernier, tous animés de l’esprit du monarque, et qui allaient par leurs écrits, au même but où il tendait par ses victoires, une sorte de monarchie universelle, non telle que les Espagnols, les Anglais, et l’empereur se le persuadaient, mais plus glorieuse, parce qu’elle aurait été volontaire : il ne faut pas que l’on perde cela de vue, en lisant Molière, Racine, Quinault et nos romanciers d’alors, sans